La science ne fournit-elle que des certitudes ?

Corrigé synthétique.

Dernière mise à jour : 10/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Lorsque le peintre Georges Braque affirme que "La science rassure, l'art inquiète", sa formule est sans doute influencée par sa position d'artiste face à la science. Si cette dernière rassure, c'est peut-être parce qu'elle parvient à comprendre certaines lois des phénomènes et à nous fournir une image ordonnée du monde. Mais cela ne signifie pas nécessairement que ses lois seraient définitives et constitueraient des certitudes absolues. En proposant du savoir, la science propose aussi des démarches, des attitudes intellectuelles, elle révèle également des ignorances.

I. Certitudes apparentes

L'image sociale de la science est volontiers ambiguë : d'une part le savoir, tel qu'il est véhiculé sans arrière-fond historique, semble composé de vérités stables, acquises une fois pour toutes ; de l'autre le public ne se prive pas de craindre certaines retombées de la science. À la figure du "savant" bienfaiteur de l'humanité (Pasteur, réputé presque uniquement pour son vaccin contre la rage, mais dont on oublie d'autres recherches ou prises de position moins enthousiasmantes), s'oppose celle du "savant" dangereux (Frankenstein), que certains scientifiques confirment eux-mêmes ; comme Einstein lorsqu'il affirme que, s'il avait su que ses théories sur l'énergie auraient fini par aboutir à la mise au point de l'arme atomique, il les aurait gardées au secret (ce qui est, soit dit en passant, d'une belle naïveté !).

Malgré cette confusion, "la science" passe pour constitutive d'un savoir dont il n'y a pas lieu de douter. L'opinion hérite là, sans en avoir conscience sans doute, du positivisme d'Auguste Comte, mais surtout d'une idéologie scientiste à laquelle les chercheurs eux-mêmes ont renoncé depuis longtemps. Dans sa Loi des trois états, Comte affirme bien, en effet, que l'état positif ou scientifique constitue la forme finale de la connaissance : la science serait ainsi "indépassable"- bien que le repérage de la succession des états et des mentalités qui leur correspondent ne soit pas lui-même scientifique, mais bien philosophique... Quant au scientisme, il admettait massivement que la science, devant finir par répondre à toutes les questions, était appelée à se substituer à tout autre mode de pensée, qu'il s'agisse de la philosophie ou de la religion.

II. La science remet en cause en permanence ses acquis

Si, pour l'épistémologie contemporaine, le scientisme n'est rien de plus qu'une erreur n'ayant au mieux d'intérêt qu'historique, il n'en continue pas moins à imprégner les mentalités, parce que celles-ci sont trop peu informées de l'histoire des sciences et de la réalité du travail qu'elles supposent. Si la science peut être réputée comme dispensatrice de certitudes, c'est d'abord parce que la vulgarisation qui la concerne fait état en priorité de ses résultats, mais non de ses erreurs ou de ses démarches.

Il suffit en effet de considérer l'évolution des théories et des concepts scientifiques pour constater combien elles n'en finissent pas de changer. Ce qui est admis comme "scientifique" à une époque apparaît ensuite scientifiquement insuffisant ou incohérent. Mais surtout, même après que la scientificité d'une discipline est bien établie, l'avancée du savoir y suppose une permanente remise en chantier des vérités. Bachelard a ainsi montré que la vérité - initialement absolue et certaine - de la mécanique newtonienne devient limitée dès la mise au point des théories relativistes, et que celles-ci sont à leur tour conçues comme incomplètes à partir du moment où Dirac introduit le concept de "masse négative". Il n'y aurait ainsi de "certitude" que temporaire...

Ne faut-il pas cependant faire une exception pour les disciplines purement formelles, dont les mathématiques? Descartes lui-même y trouve un modèle de vérité alors qu'il doute de tout. Mais il est également persuadé que "l'égalité de la somme des angles à deux droits est aussi nécessaire que la présence d'une vallée à côté d'une montagne" : on sait aujourd'hui que cette nécessité, loin d'être "naturelle", n'intervient que dans le système euclidien. Sans doute ce système présente-t-il néanmoins des certitudes internes, mais elles ne nous disent rien du monde, puisqu'elles ne concernent que des concepts purs, a priori, élaborés par des décisions de l'esprit, qui paraissent trop éloignés du "réel" pour combler une soif de certitude...

III. La science comme modèle intellectuel

De plus, toute découverte scientifique (qui peut apparaître pour le public qui en est plus ou moins rapidement informé comme une nouvelle certitude, mais que les scientifiques eux-mêmes se gardent de considérer comme telle, parce qu'ils savent à l'avance qu'elle sera tôt ou tard, sinon contestée en totalité, du moins précisée et replacée dans un contexte théorique plus vaste) signifie la découverte complémentaire - beaucoup moins vulgarisée parce qu'évidemment moins médiatique - de pans entiers d'ignorance dont on n'avait jusqu'alors aucune idée ! L'histoire d'une science est ainsi faite, incontestablement, d'une avancée du savoir, mais elle est symétriquement constituée d'une extension du non-savoir ; de sorte que toute certitude apparente se double d'une incertitude beaucoup plus étendue.

Enfin, on doit rappeler qu'une vérité scientifique ne saurait être assimilée à une révélation concernant le réel : la vérité, dans les sciences, n'est qu'une "image" élaborée à partir des phénomènes perceptibles et des théories disponibles. Ce qui signifie en particulier que la "réalité" est scientifiquement impossible à atteindre, même si la recherche essaie d'en approcher le plus possible. La conséquence s'impose: la recherche scientifique, dans quelque domaine que ce soit, est interminable, et les énoncés scientifiques ne sont donc jamais absolument certains.

Indépendamment de ses vérités ainsi comprises comme momentanées, l'intérêt de la science réside dans la valeur exemplaire de ses démarches. Mais celles-ci sont telles qu'elles contredisent la notion même de certitude. Ce que montre le travail scientifique, c'est la patience, la modestie, la nécessité du travail en équipe, la capacité à modifier les hypothèses et les vérités : qualités qui sont exactement contraires à l'esprit avide de certitude. Que désire ce dernier en effet ? Des réponses simples, rapides, impossibles à mettre en doute et susceptibles de satisfaire une curiosité ou une angoisse éminemment individuelle.

Conclusion

La certitude peut en conséquence être attendue des dogmes ou des croyances ; elle peut relever d'une foi. Par définition inébranlable, elle accompagne éventuellement le fanatisme. La seule certitude qu'offre la science concerne la nécessité et l'efficacité, à plus ou moins long terme, de la recherche.

Lectures

Bachelard, La Philosophie du non
Rougier, Traité de la connaissance