Y a-t-il de bons préjugés ?

Corrigé synthétique.

Dernière mise à jour : 12/11/2021 • Proposé par: cyberpotache (élève)

Questions préalables

- Dans quels domaines (savoir, action) rencontre-t-on des préjugés ?
- Définition du préjugé ? S'autoriser à "jouer" sur le mot.
- Si un préjugé semble "bon" en fait (parce qu'il serait efficace ou semblerait correspondre à de la vérité), que lui manque-t-il pour être accepté en droit ?

Introduction

Les préjugés ont généralement mauvaise réputation dans la tradition philosophique. Si cette dernière existe en prenant ses distances à l'égard de l'opinion commune, cela signifie-t-il que, pour cette opinion, les préjugés - du moins certains d'entre eux - seraient "bons" ? Peut-être faut-il plutôt admettre que l'opinion use de préjugés sans les reconnaître. Mais peut-il y avoir de "bons préjugés" ?

I. Repérage des préjugés

Le préjugé est un jugement prématuré, c'est-à-dire non fondé sur l'expérience ou l'analyse rationnelle. Rappel du modèle socratique : que fait d'autre Socrate, sinon mettre en lumière ce que l'Athénien moyen admet comme allant de soi sans exercer de réflexion ? Platon montre lui que l'opinion - où abondent les préjugés, est le contraire de la connaissance, et que cette dernière ne s'élabore qu'en s'en éloignant.

Descartes révoque par le doute hyperbolique tout ce qu'il croyait antérieurement pouvoir admettre. Comment procède le préjugé : par "précipitation", ou généralisation abusive. Tous les X sont fainéants : un représentant particulier de la classe X est qualifié à l'avance sans qu'il y ait besoin de considérer son cas singulier (racisme, xénophobie).

Le préjugé " protège" celui qui y a recours : il est sans origine précise, toujours transmis d'ailleurs, donc il offre un anonymat rassurant, et une irresponsabilité - c'est le "on" de Heidegger (On peut faire valoir également que l'élection d'un préjugé par un individu relève de l'inconscient : à ce titre, il correspond à un désir ou à un fantasme, et aucunement à une vérité universelle).

II. Diversité du préjugé

Dans les sciences. Rappel de Bachelard : le préjugé fait partie des obstacles épistémologiques - par exemple en se fondant sur la perception : le Soleil tourne évidemment autour de la Terre. De plus, il guette toujours le savoir établi, qui risque d'être admis comme définitivement acquis alors même qu'il est partiel et temporaire. Dans la morale. Le préjugé peut y prendre l'aspect d'une maxime, non universalisable (donc différente d'une loi morale, au sens kantien), ou d'un principe apparemment évident et incontestable, mais susceptible d'aboutir au "fanatisme des fins". Par exemple : il faut sauver toutes les âmes (quelle que soit la méthode employée. Cf. l'Inquisition).

Toutefois, un préjugé peut offrir un contenu ressemblant à un jugement motivé. Soit "II faut être vertueux". On rappelle que le travail de la philosophie (cf. Kant au début des Fondements de la métaphysique des moeurs consiste alors à justifier, c'est-à-dire à fonder la proposition pour lui donner davantage de force, en montrant qu'elle doit sa valeur, non à sa répétition conformiste ou à son "contenu", mais à la forme universelle de son obligation (= loi).

Le préjugé, même apparemment vrai (parce que efficace) ne peut donc pas être confondu avec un jugement. II lui manque un fondement rationnel. II a toujours un caractère aléatoire : d'où provient-il ? pourquoi ? (cf. la différence établie par Platon dans Ménon entre l'opinion vraie ou droite et la science : la première n'est pas "liée", et elle risque de s'enfuir comme les statues de Dédale).

III. Préjugé et rationalité

En droit, l'efficace n'est pas le vrai - même si dans les faits les vérités scientifiques déterminent aussi des comportements (notamment techniques) efficaces. Différence entre préjugé et postulat : lorsque Kant affirme la nécessité de ses trois postulats de la Raison pratique, c'est pour donner plus de cohérence à la moralité, et au terme d'une analyse régressive de cette dernière qui montre qu'elle a besoin de fondements.

Mais le comportement scientifique lui-même n'implique-t-il pas, à sa source, une croyance assimilable à un préjugé ? À savoir : que la science elle-même est possible, qu'il est à notre portée de savoir, et que cela mérite d'être entrepris. Cf. Nietzsche, document Il. II y a là en effet un pari sur la possibilité même du savoir, un encouragement à la recherche des explications et au travail scientifique. Cette " croyance " fondamentale est donc dynamisante.

Au contraire, le préjugé invite au statisme, puisque pour lui tout est déjà réglé, ou su, et que donc il n'y a plus rien à chercher (cf. les procès où l'on récuse les jurés ayant un préjugé "favorable" ou "défavorable", à l'égard de l'accusé : il leur devient difficile, sinon impossible de participer à la recherche de la vérité et à l'élaboration d'un jugement, puisque pour eux tout risque d'être déjà joué).

Conclusion

Le préjugé est non seulement fragile et irrationnel. Il est de plus dangereux Le l'action et stérilisant pour la pensée. Un préjugé apparemment "bon" n'est rien de plus que du vraisemblable relativement au vrai : il lui manque de résulter d'un parcours de la pensée. A strictement parler, tous les préjugés sont donc mauvais.

Lecture

Platon, Ménon

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