L’étymologie latine du mot travail, « tripalium », signifie « instrument de torture ». En outre, c’est une action liée à la souffrance et qui possède une dimension fortement négative. Par définition, le travail est une activité de transformation de la nature qui a pour effet de transformer l’homme lui-même. Pour Blaise Pascal, c’est un divertissement qui occupe une grande partie de la vie des hommes et qui permet de masquer les problèmes essentiels de l’existence humaine. On définit une contrainte comme étant est une chose imposée par l’extérieur contre la volonté d’un individu. Or, il faut bien différencier une contrainte d’une obligation, qui elle est une activité que l’individu s’impose lui-même librement.
On peut donc se demander si l’homme est contraint ou obligé de travailler ? Dans un premier temps, nous nous demanderons si le travail n’est qu’une activité imposée par l’extérieur contre la volonté de l’homme, puis dans un deuxième temps nous nous interrogerons sur le fait que le travail est une activité que l’être humain s’impose librement à lui-même.
I. Le travail est une activité imposée par l’extérieur, contre la volonté de l’homme
D’une part, on pourrait dire que l’homme est résigné à être contraint de travailler au sens où le travail ne serait qu’une activité imposée par l’extérieur.
Tout d’abord, pourquoi ne pas considérer le travail comme une unique contrainte puisque dès son origine, cette activité est désignée comme telle ? Il s’agit en effet d’une action qui est infligée à l’homme par des individus qui lui sont supérieurs. Dès sa création, le travail possède cette dimension pénible et négative liée au seul fait qu’il s’agit d’une action dictée par l’extérieur et qui pèse sur l’être humain. Que ce soit dans les religions monothéistes ou polythéistes, le travail possède, dans les récits, la caractéristique de n’être pas naturel chez l’homme, et donc d’être imposé par un élément externe. En effet, dans la religion chrétienne, la Bible présente tout d’abord l’homme dans la Genèse à l’état de nature, comme un être vivant dans le jardin d’Eden, où il n’a pas besoin de travailler pour vivre, car ce jardin lui offre naturellement de quoi exister agréablement. Toutefois, lorsqu’Adam et Eve commettent le péché originel, Dieu les punit en les envoyant sur Terre, où la terre n’est pas fertile et où pour survivre l’homme va devoir travailler. Ici, le travail est un châtiment divin, imposé par Dieu aux hommes pour les punir de leur désobéissance. Le caractère pénible et douloureux du travail est ainsi exprimé dans la phrase « tu travailleras à la sueur de ton front ». Dans cet extrait, Dieu lie la souffrance au travail de manière puissante, car il s’agit en quelque sorte d’une malédiction prononcée par cet être divin. Par ailleurs, Platon, dans Le Protagoras, relate l’apparition de la technique, et donc du travail, chez les hommes dans « le mythe de Prométhée ». En effet, la technique désignant toutes les fabrications de l’homme, elle englobe aussi le travail puisque l’être humain en est le « fabriquant ». Au début, l’homme est un être naturel comme les animaux, or il est aussi naturellement démuni face aux autres, car le frère de Prométhée, Epiméthée, omet de le doter d’une capacité qui lui permettrait de survivre. Pour réparer cette erreur, Prométhée offre la technique aux hommes, ainsi que le feu. Le travail est ici dicté par les êtres divins que sont Prométhée et Epiméthée, c’est-à-dire des Titans. Cette activité apparaît dans la religion grecque de l’Antiquité comme un cadeau qui est toutefois imposé aux hommes pour qu’ils puissent survivre. Dans ces deux exemples, le travail est infligé aux êtres humains par des créatures divines qui leur sont supérieures, mais c’est aussi le seul moyen que les hommes ont pour survivre. Néanmoins, l’existence d’êtres divins n’étant pas un fait prouvé, on peut rester sceptique sur les origines du travail relatées précédemment. Par conséquent, pour déterminer si le travail n’a qu’un caractère contraignant, on peut s’interroger sur le fait que c’est une activité qui peut être dictée aux hommes par certains de leurs semblables.
En effet, le travail pourrait être qualifié uniquement de contrainte s’il est imposé à l’humanité par d’autres hommes. Il existe effectivement, des êtres humains qui possèdent une quantité de pouvoir importante et qui contraignent l’humanité à travailler en créant un cercle vicieux qui fait du travail une nécessité pour accéder à ses propres désirs. D’après Marx, les hommes qui font du travail une contrainte sont ceux qui produisent les objets du désir des hommes. L’homme étant un être qui recherche sans cesse la satisfaction, il ne pourra s’empêcher de céder à ses désirs. Comme le disait Oscar Wilde dans Le portrait de Dorian Gray, « je peux résister à tout sauf à la tentation », c’est donc nécessaire pour l’homme de contenter ses envies. Par conséquent, d’après Marx, les hommes qui détiennent les clés des désirs de l’humanité auront en leur possession un pouvoir immense et une responsabilité d’autant plus importante. À l’époque actuelle, le désir réside dans la consommation d’objets de plus en plus sophistiqués et qui reflètent la nouveauté. Toutefois, le seul moyen d’assouvir ses envies de nos jours est de posséder de l’argent. Un revenu devient donc une nécessité pour que l’homme puisse accéder à la satisfaction d’avoir comblé ses désirs. Néanmoins, pour obtenir avoir de l’argent, le travail est l’unique option que possède l’humanité et donc c’est un moyen pour l’homme de satisfaire ses désirs. Ici le travail provient de la nécessité pour l’homme de contenter ses désirs, qui sont créés par d’autres hommes. Par exemple, les dirigeants de la société Apple ont créé l’iPhone. Ce smartphone est aujourd’hui l’objet de désir d’êtres humains, mais son prix est très élevé. Pour satisfaire leur désir, ces personnes vont donc travailler pour acquérir de l’argent et s’offrir ce nouveau téléphone. Par conséquent, on pourrait dire que le travail est une contrainte, car ce sont d’autres hommes qui imposent le travail pour que l’humanité puisse satisfaire ses envies, qui est une action nécessaire à l’être humain. Le travail peut donc être désigné comme une contrainte parce qu’il est imposé aux hommes par des individus externes, qu’ils soient divins ou humains. Par ailleurs, il pourrait aussi être dicté par la société dans laquelle les hommes vivent.
Effectivement, le travail pourrait se révéler n’être qu’une contrainte s'il est imposé par la société dans laquelle l’homme doit vivre. Les hommes appartiennent en effet à un système particulier appelé « société ». Dans celui-ci, ils doivent vivre en communauté et suivre des règles, ce qui en fait des êtres de culture d’après Lévi-Strauss. Actuellement, la société suit le modèle du système capitalisme, qui s’oppose au système communisme, et dans lequel le capital est au centre de tout. Dans ce système, au 19e siècle, la société prône la réussite de certains hommes, qui appartiennent à l’élite, basée sur le travail d’autres hommes, qui eux font partie du monde ouvrier. Dans ce monde, d’après Karl Marx, le travail est en fait une nécessité, un simple moyen de survivre imposé par la société capitaliste. En effet, dans un tel engrenage l’homme doit posséder de l’argent pour survivre et cet argent n’est accessible aux ouvriers que par l’intermédiaire du travail, aussi pénible, répétitif et sans intérêt soit-il. Dans cette optique, l’ouvrier va considérer le travail comme un moyen de survie qui lui permettra de gagner un salaire, c’est-à-dire un moyen de subsistance dans la société capitaliste. Dès lors, l’ouvrier qui travaille ne produit plus ce qu’il fabrique, mais il produit un salaire qui est son seul moyen de survivre. C’est-à-dire que le travail de l’ouvrier n’est pas l’expression de son existence comme ce devrait être le cas en droit d’après Marx, mais c’est l’unique manière de pouvoir continuer à survivre dans un monde où seul l’argent a de la valeur. Par conséquent, le travail devient une nécessité et donc l’homme perd sa liberté, car il est dépendant du travail et n’a pas le temps d’accéder à la culture. Pour Marx, le travail n’est donc qu’une contrainte, car c’est l’unique moyen de survie qui est imposé à certains hommes par la société. C’est d’ailleurs cette activité qui est la cause de l’aliénation des travailleurs, c’est-à-dire que les ouvriers ne sont plus considérés comme des hommes, mais uniquement comme une force de travail utilisée par la société pour produire des richesses. Les êtres humains perdent par conséquent leur humanité à travailler et donc gâchent leur vie pour la survie, dans un monde où la société leur impose le travail. On a vu précédemment que le travail, comme il est imposé aux hommes par des éléments extérieurs, pouvait être considéré uniquement comme une contrainte, mais le travail n’est-il que cela ? Ne peut-il pas être considéré comme autre chose qu’une contrainte ? L’homme n’est-il pas libre de faire ses propres choix et donc de décider librement lui-même?
II. Mais en s'imposant lui-même le travail, l'homme peut s'élever au-delà de sa seule contrainte
D’autre part, il est possible de considérer que le travail n’est pas uniquement une contrainte dans la mesure où il pourrait s’agir d’une obligation, c’est-à-dire une activité que l’homme s’imposerait librement à lui-même.
Tout d’abord, on pourrait ne pas désigner le travail comme une contrainte si on considère que c’est naturel pour l’homme de se l’imposer librement, et l’homme n’est-il pas une créature libre ? Effectivement, d’après Jean-Paul Sartre, l’homme est un être naturellement libre qui est responsable de ce qu’il fait et donc de ce qu’il est. Pour ce philosophe « l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait », c’est-à-dire que comme l’homme est une créature libre et consciente d’elle-même. Toutes les activités qu’il fait sont donc faites consciencieusement et librement. D’après ce philosophe, l’homme se définit par ses actions, et comme celles-ci sont réalisées librement et consciencieusement, l’homme est responsable de ce qu’il est. Ainsi, on pourrait déterminer le travail comme une de ces actions qui n’ont été imposées à l’homme que par lui-même. Par conséquent, il serait impossible de désigner le travail comme une contrainte, mais plutôt comme une obligation, car c’est l’homme qui s’impose le travail naturellement et librement. Par ailleurs, d’après Rousseau, la perfectibilité est le propre de l’homme, c’est-à-dire que la capacité de s’améliorer sans cesse est une caractéristique propre à l’être humain. Ce philosophe des Lumières désigne la perfectibilité comme « la faculté qui développe toutes les autres ». Par conséquent, la perfectibilité développe la faculté du travail chez l’homme de manière naturelle et le travail développe par exemple les moyens de transports, ce qui permet à l’homme d’améliorer sa condition de vie. En effet, le travail étant un des facteurs principaux qui permet à l’homme d’améliorer son existence la perfectibilité le développe. Dans ce sens, le travail provient de la perfectibilité, qui est une faculté naturelle chez l’homme puisqu’elle lui est propre. Ainsi, le travail est une obligation pour l’homme puisque qu’il résulte de la perfectibilité et donc de la nature humaine. Par ailleurs, Aristote considère que la main est l’expression naturelle de la technique dans le corps de l’homme. La technique serait donc naturelle pour l’homme, ce qui induit que le travail lui-même le serait aussi. Effectivement, d’après Aristote « la nature ne fait rien en vain » et aurait donc doté l’homme de mains pour que celui-ci soit l’être le plus avantagé et ait des possibilités techniques illimitées. La technique étant tout ce qui relève de la fabrication humaine, elle englobe le travail. On peut donc considérer le travail comme une chose naturelle chez l’homme, et donc une chose que l’homme s’impose librement à lui-même. Le travail d’après les exemples précédents ne peut guère être désigné comme une contrainte, mais plutôt comme une obligation.Toutefois, le travail ne résulte pas seulement dans des caractéristiques qui sont propres à l’homme telles que la liberté ou la perfectibilité, car c’est aussi une nécessité pour lui.
Effectivement, l’homme s’imposerait librement le travail, car il en aurait besoin pour se libérer. D’après Kant, l’homme se dicterait librement le travail, car il en aurait besoin pour se libérer de la nature qui est en lui. En effet, le travail est une activité qui induit de suivre des règles, et ces règles permettent à l’être humain de se libérer de la nature qui réside en lui, c’est-à-dire de se civiliser. Cette nature qui habite l’être humain s’exprime par le désir, l’instinct et les sentiments d’après Kant. Le travail est donc l’activité qui permet à l’homme de ne plus être esclave de sa nature et d’accéder à l’estime de soi. C’est-à-dire que lorsque l’homme travaille, tout ce qu’il construit « il doit en avoir tout seul le mérite et n’en être redevable qu’à lui-même ». D’après Kant, le travail permet aussi d’évoluer et d’accéder à la culture, car si l’homme ne travaillait pas, il serait resté au stade primitif. Par conséquent, l’homme s’oblige à travailler pour se libérer de la nature qui est en lui et pour accéder à l’estime de soi ainsi qu’à la culture. Par ailleurs, d’autres philosophes voient dans le travail un autre facteur de libération. En effet, pour Pascal, le travail permet à l’homme de se libérer de la misère existentielle, qui est le maux le plus douloureux de l’espèce humaine et qui est en fait la définition de la condition humaine. La misère existentielle est en fait une angoisse, un ennui qui est commun à tous les hommes et qui résulte d’une interrogation sur l’existence humaine. Ces questions existentielles, qui sont universelles, plongeraient l’homme dans une angoisse et un ennui profond. Il existe de nombreuses questions de ce genre comme « que faire de sa vie ? » ou bien « que faire face à l’angoisse de la mort ? ». Pascal considère que pour se libérer face à ce maux l’homme s’impose librement le travail, qui est un divertissement qui l’occupe et l’empêche de se poser ces questions existentielles. C’est-à-dire que le travail est la seule solution pour l’homme face au sentiment insupportable que l’existence humaine est absurde. Par conséquent, l’homme se dicte librement le travail, car c’est l’unique solution face à l’angoisse et l’ennui causés par la condition humaine. Le travail, d’après ces deux exemples, constitue une obligation pour l’homme dans le sens où il se l’impose librement afin de se libérer de la nature qui est en lui, ainsi que de la misère existentielle qui l’habite. Toutefois, le travail pourrait n’être considéré que comme une contrainte s’il constituait une activité réalisée pour une fin extérieure.
Enfin, le travail pourrait être déterminé comme une obligation si c’est une fin en soi. En effet, à partir du moment où le travail devient une fin en soi, on ne peut plus le considérer comme une contrainte, car cette activité est pratiquée par l’homme librement pour elle-même et non pour une fin extérieure. D’après Marx, en droit le travail devrait être l’expression de l’existence de chaque être humain. C’est-à-dire que le travail devrait être une vocation, un plaisir qui est réalisé uniquement pour lui et non pas pour le salaire, comme c’est le cas dans la société capitaliste. Ce philosophe pense qu’à partir du moment où l’homme sort de ce genre de société, alors le travail aliéné se termine et la vocation commence. Par conséquent, pour que le travail ne soit plus une contrainte, il faut que l’homme sorte du capitalisme selon Marx. En effet, si le travail est une vocation pour l’homme qui le réalise, alors cette activité est considérée comme une fin en soi et devient donc une obligation pour l’homme et non plus une contrainte. Comme disait Stendhal, « la vocation, c’est le bonheur d’avoir pour métier sa passion », c’est-à-dire que dès qu’on ne travaille plus pour un moyen de subsistance, mais qu’on le fait par passion librement, alors le travail ne peut plus être considéré comme une contrainte. Par exemple, un homme qui travaille uniquement pour obtenir un salaire et qui n’apprécie pas son métier va le considérer comme une lourde contrainte alors qu’un homme qui aime son métier et qui le considère comme une vocation va prendre du plaisir à le faire pour lui et non pour le salaire et va donc le considérer comme une fin en soi, c’est-à-dire une activité qu’il choisit de faire librement autrement dit une obligation.
Conclusion
Pour conclure, le travail ne peut guère être uniquement considéré comme une simple contrainte même si il est imposé à l’homme par d’autres individus. En effet, il s’agit aussi d’une obligation, une fin en soi, qui lui permet en quelque sorte de s’émanciper la nature qui est en lui ainsi que de sa condition humaine. Le travail permet en effet à l’homme de se libérer d’aspects contraignants liés à l’existence humaine.