Introduction
Contexte de l'extrait:
- texte de Voltaire, l’Ingénu, écrit en 1767, conte philosophique, extrait des six derniers paragraphes du chapitre XX
- l’Ingénu s’est rangé, il a fini son éducation, après la souffrance, quand il décide de ne pas tuer Saint-Pouange
- fin du conte, exipit. On est dans le dénouement final.
I. Un double choc
A. Un choc romanesque
Un coup de théâtre, un choc romanesque: Saint-Pouange éprouve une sorte de conversion, qui ressemble à la conversion prodige du chapitre XIV, où l’Ingénu avait converti un janséniste. Il convertit maintenant Saint-Pouange au véritable amour humain, et non à l’amour divin-moral. On est là dans le miracle de la conversion et du repentir de l’ignoble Saint-Pouange. L'expression « le Saint-Pouange », montre le mépris de l'auteur.
Pour que ce choc ait lieu, il voit d’abord le cercueil, la mort. Il est mis en face du résultat de ses actes. Il voit les effets de ce qu’il a causé. C'est un choc car il venait trouver une vivante à « consommer » « brûlant d’assouvir sa passion ». C'est un choc entre Eros et Thanatos (Dieu Amour/Mort).
Ce libertin semble retrouver sa « bonté originelle » (moquerie envers Rousseau), n'étant pas méchant au début de sa vie, tout se passe comme si le couple Saint Yves/Ingénu convertissait ce personnage.
B. Un choc avec la rencontre du rival
Ce choc est constitué par la rencontre avec l’Ingénu où le « pourri » devient « ange » (POU -ANGE)
Il fait dire à Saint-Pouange des phrases courtes, simples: « J’ai fait votre malheur, (...)j’emploierai ma vie à le réparer ». On a la une antithèse entre ce qu’il a été et ce qu’il sera, marqué l'opposition des temps: « j’ai fait » au passé composé et « j’emploierais » au futur.
Le texte parle surtout de lui pour son libertinage et en une phrase il devient une sorte de saint, acceptant les marques de mépris sans broncher: « Saint-Pouange ne se rebuta point ».
On a une gradation des termes « reproche » « mépris » « horreur », comme s'il comprenait les autres et qu’il allait faire du bien autour de lui par amour mais pas par amour divin. Il va faire du bien autour de lui et à son rival l’Ingénu.
II. Le destin de l’Ingénu
A. Une rencontre sous tension
Dans ce dénouement arrive la fin de l’apprentissage de l’Ingénu. Elle est douloureuse car elle se fonde sur la rencontre de son rival Saint-Pouange quand il est au sommet de sa douleur.
Tout aurait pu se terminer par un crime avec la mort de Saint-Pouange, de l’Ingénu et de Mlle de Saint-Yves, un trio infernal. Cette rencontre est comique car le crime n’a pas lieu « mais il était sans armes ». C'est plutôt humoristique car l’Ingénu étant costaud, s'il avait voulu tuer Saint-Pouange il aurait pu le faire. Voltaire ajoute un détail « surveillé de près » pour rendre la scène plus vraisemblable.
Tout ce passe comme si le narrateur aurait envie de terminer son histoire rapidement pour en finir. Une formule « le temps adouci tout » met fin à l’horreur de cette rencontre et il n’y a donc pas de sang et le roman se termine « bien ».
B. Un dénouement rapide
L’avenir de l’Ingénu est réglé en une phrase : il devient un objet, c’est-à-dire qu’il rentre dans le rang et son avenir est réglé par un représentant du roi.
Le narrateur règle son compte rapidement mais reste fidèle à son prénom « Hercule », sa culture et sa nature « huron ». Il y a là un clin d’œil de voltaire qui évoquerait sa propre personnalité: courageux car il a été aussi embastillé.
Il règle rapidement l’avenir de l’Ingénu dans un dénouement court et simple.
III. L'art du raccourci de Voltaire
A. Un dénouement complet
Voltaire met beaucoup de choses dans ce dénouement, l’Ingénu reste un amoureux fidèle jusqu’à sa mort. « jusqu’au dernier moment de sa vie » périphrase pour dire jusqu’à la mort.
Toute sa vie adulte est réglée dans un bref sommaire: « il chérit la mémoire de la tendre Saint-Yves ». Cela peut laisser au lecteur une curieuse impression.
Le narrateur va régler le compte des autres personnages pour en finir. Voltaire montre là son art du raccourci.
B. Un dénouement pour chaque personnage
Chaque personnage est sujet d’un verbe et le COD est la récompense qu’ils ont. Les phrases sont économes qui dans leur rapidité paraissent invraisemblables, voire comiques. Le verbe avoir (« eut ») montre la volonté de ne pas choisir autre chose, il n'y a pas d’autres verbes pour désigner le sort les personnages.
Chaque personnage a une récompense correspondant à son caractère :
- Saint Yves et le prieur: des « bénéfices », une terre pour montrer l’aspect matériel des Jésuites.
- Le Père Tout-à-tous: des gourmandises « boites de chocolat, de café, de sucre candi, de citrons confits » pour montrer sa volonté doucereuse de s’entendre avec tout le monde et des livres « les Méditations du révérend père Croiset et La Fleur des saints, reliés en maroquin », livres destinés à être rangés dans une bibliothèque sans être lus (critique des Jésuites).
- La dévote (terme péjoratif, pour montrer que c’est une courtisane), « boucles de diamants » elle a ce qu’elle veut : le paraître.
Gordon vit avec l’Ingénu, lui aussi a un bénéfice et rentre dans le rang, il est presque converti en Jésuite. La Kerkabon a son honneur flatté par la réussite de son neveu et reste la plus sympathique.
C. Un dénouement vraisemblable ou comique ?
Ce dénouement est ambigu volontairement. Tout semble avoir évoluer positivement « malheur est bon à quelque chose » (Cf. optimisme de Candide pour qui « tout va bien dans le meilleur des mondes »). Mais on ne peut pas dire que le dénouement soit aussi optimiste « malheur n’est bon à rien ».
Voltaire s’amuse ici: chacune des récompenses correspond aux défauts de chaque personnage.
Il utilise l’antiphrase clairement « dévote de Versailles ». Tout ce passe comme si la vie était une récompense.
D'autre part, le pathétique employé pendant la rencontre est tellement poussé à l’extrême que l’on peut sentir une parodie, comme s’il se moquait de ce qu’il écrivait. Le dénouement devient comique et le lecteur peut se demander si Voltaire est sérieux en écrivant cette fin.
Conclusion
On est ici dans une parodie de roman sensibles, pessimisme (amour- révolte) trouvés dans ce roman ne doivent amener le lecteur qu’à réfléchir, c’est bien un conte philosophique. Jusqu’à la fin de l’œuvre le lecteur doit tout lire au second degré. L’écriture de Voltaire par son économie et son art du raccourci demande au lecteur de combler les trous laissés par les ellipses. Le dénouement si complet abouti au final à un questionnement du lecteur.