Le désir est-il par nature illimité ?

Annale bac 2016, Série L - France métropolitaine

Dissertation entièrement rédigée en trois parties :
I. Le désir a une fin en soi,
II. Le désir est muable,
III. Les remèdes à l’intempérance du désir

Dernière mise à jour : 16/03/2021 • Proposé par: meyliviem (élève)

Le terme « désir » issu du terme latin « desiderare » renvoie à la contemplation des astres, astres dont on ne peut se détourner. La définition actuelle du mot « désir » implique que l’homme, c’est-à-dire le sujet porte son attention et son envie sur un objet matériel ou immatériel – volontairement ou involontairement, souhaitant l’obtenir à tout prix. Depuis l’Antiquité, on associe fondamentalement cette notion de désir à la nature humaine. Or, au cours du XVIe au XVIIIe siècle, le désir se conçoit comme le débordement des passions, le désir apparaît comme un trouble dans l’esprit de l’homme. Dès lors, il faut le réprimer, car il est jugé dangereux pour vivre une bonne existence morale. Il faut l’éviter, car on ne le contrôle pas. Pendant longtemps, le désir a inspiré la crainte. Peut-être est-ce à cause de son aspect vain, échappant au temps et à l’homme. Le désir est-il par nature illimité ? Y a-t-il une fin au désir ? Faut-il chercher à l’atteindre ? Et comment l’atteindre ? En fait, le désir est en renouvellement constant. Est-ce une propriété à craindre ou est-ce un bien pour la nature humaine ? Nous chercherons à identifier ce qui découle du désir à travers ses conséquences sur l’homme. Premièrement, nous verrons qu’il peut effectivement y avoir une fin au désir. Dans une seconde partie, nous constaterons que le désir est muable. Enfin, nous chercherons à établir une ligne de conduite afin de contenir les effets négatifs du désir.

I. Le désir a une fin en soi

A) Le désir cesse lorsqu’il est comblé

Pour ce sujet de réflexion, il est important de faire la distinction entre le sens générique et le sens particulier du mot « désir ». En effet, si l’on s’appuie sur le sens particulier d’un désir, on constate qu’il peut cesser. Autrement dit, le désir a une fin en soi. Cependant, bien que le désir peut cesser, cette opération n’est pas facile ni évidente. Le désir ne va s’arrêter que lorsqu’il sera comblé, c’est-à-dire lorsqu’il sera arrivé à sa satisfaction. Pour le philosophe grec Épicure, il est indispensable de mettre en œuvre tout ce qui est notre pouvoir pour réussir à l’atteindre. Ainsi, cela suggère que l’homme ne doit pas rester passif. L’homme ne doit pas être spectateur de son désir qui le dépasse. Par exemple, si une personne souhaite s’acheter une paire de chaussures, mais qu’elle n’a pas les ressources adéquates, elle devra travailler dur pour obtenir la somme nécessaire à l’acquisition de l’objet de son désir. Si un élève souhaite réussir ses épreuves durant les examens, il se donnera les moyens en étudiant de manière studieuse. Dès que le désir est accompli et que la satisfaction a remplacé cet état de manque chez le sujet, le désir disparaît et laisse place à un sentiment de plénitude chez l’homme : la joie – passagère – ou le bonheur – plus durable.

B) La satisfaction du désir est motivée

Chez l’homme, la satisfaction d’un désir provoque une multitude de sentiments positifs notamment la ferté, mais surtout le bonheur. Il s’agit de la satisfaction de l’accomplissement comme un artisan qui a achevé son œuvre. Si l’on raisonne ainsi, on peut comprendre que sans satisfaction du désir, l’homme serait malheureux, car il serait en quête perpétuelle pour l’atteindre, épuisant ses ressources. Avec cette notion de bonheur est liée l’idée très subjective de mérite. Le fait que l’homme ait mis en œuvre la totalité de ses ressources pour satisfaire son désir lui octroie une certaine valeur même s’il a peut-être mal agi pour y arriver. L’homme se retrouve alors dans un état de bonheur durable. Dans Le Prince de Machiavel, ce dernier écrit au prince qu’afin d’obtenir ce qu’il veut de ses sujets, il doit exercer toutes ses ressources même s’il n’est pas juste. Puisque le bonheur est le motif et la fin du désir, peut-on dire que le désir est propre à l’homme ? Quel est le sens générique du terme de désir ?

II. Le désir est muable

A) Le désir est en renouvellement constant

Si l’on approche cette notion de « désir » avec un regard plus vaste, on peut supposément et immédiatement établir que le désir, dans sa généralité, est en renouvellement constant. En effet, le désir est muable. Dans le désir, son intensité peut perpétuellement varier, mais c’est principalement l’objet sur lequel est porté le désir qui change. Prenons l’exemple d’un riche bourgeois qui veut imiter le train de vie de nobles : il désirera avoir les mêmes habits qu’eux, puis les mêmes manières, puis faire partie des mêmes cercles, etc. Le désir est ainsi infini, car il peut se porter sur tout. Il est indissociable de l’existence humaine. Dans sa Lettre à Ménécée (IVe siècle av. J.-C.), Épicure discerne trois types de désirs : il y a les désirs naturels nécessaires tels que manger, boire, dormir ; les désirs naturels contingents, c’est-à-dire qui ne sont pas nécessaires. Par exemple, porter des vêtements de telle ou telle couleur. Enfin, il y a aussi les désirs non nécessaires. Les deux premiers types de désir relèvent de la « survie » de l’homme tandis que le dernier est en constant changement, la conséquence des phénomènes sociaux et culturels. Qu’importe l’évolution de l’homme, il aura toujours des désirs naturels identiques, car ils lui sont toujours vitaux.

En revanche, les désirs non naturels et non nécessaires sont la conséquence directe des évolutions de la société. Au XVIIe, on pouvait désirer posséder des chevaux et des laquais. Au XXIe siècle, on désire des voitures de sport. Par ailleurs, Rousseau disait : « Malheur à celui qui n’a plus rien à désirer ! » Chez le philosophe français, l’arrêt du désir signifie l’ennui et l’inéluctable sentiment de malheur que l’homme ressentira. L’homme est fait de passions. Sans désir, l’homme n’a plus de plaisir dans la vie : il ne vit que dans la droiture minutieuse de sa vie morose et sans remous. Il est important pour l’homme de céder à ses passions. Dans le Gorgias de Platon, le sophiste Gorgias et le philosophe Socrate dialoguent au sujet du désir et du bonheur. Pour le sophiste, le bonheur vient justement du caractère illimité du désir. Puisque l’homme peut désirer tout ce qu’il veut, sans contrainte, et sans fin, il peut être heureux. Socrate, quant à lui, rétorque que seule la philosophie peut rendre heureux et que le désir, au contraire, peut perdre l’homme. Aujourd’hui, notre société actuelle a tendance à s’aligner avec la thèse de Gorgias. Le désir est-il donc synonyme de liberté ? Ou bien est-ce une quête sans fin ? Nous avons vu que le désir est toujours présent chez le sujet.

B) Le désir est vain et insatiable

Cependant, le désir par son caractère illimité peut devenir vain. En effet, le désir est insatiable. On ne peut jamais le satisfaire totalement, car il se porte constamment sur de nouveaux objets. Pour le philosophe Schopenhauer, le désir fait souffrir. Le temps d’effort pour satisfaire le désir serait injustement plus supérieur au temps de récompense après l’avoir comblé. Ainsi, l’objet du désir obtenu paraît sans valeur. Pour le dire autrement, le temps du désir est plus long que le temps de la satisfaction. Au final, on ressentira des regrets, car ce que l’on a accompli n’a apporté qu’un moment passager d’un sentiment positif de plaisir – et non de bonheur – qui s’est transformé en malheur et en souffrance pour le sujet. Pour Schopenhauer, désirer, c’est s’enfermer dans une geôle où la satisfaction n’est qu’éphémère. D’autre part, il ne faut pas se soumettre à nos passions. Épicure souhaite que l’on se plonge dans un état d’apathie, où les choses n’ont peu, voire pas, d’impact sur nous. Revenons à notre troisième catégorie de désirs : celle des désirs non naturels et non nécessaires. Ces désirs apparaissent comme vains et futiles, marquent de l’ostentation dans une société de consommation.

Ce type de société va chercher à marquer l’opulence : ce désir peut être centré sur la richesse, la gloire, etc. qui ne sont que des obstacles pour nous éloigner du bien. Blaise Pascal considère le désir comme une forme de divertissement qui nous éloigne de la vérité de Dieu. Pour Platon, le désir nous détourne de la vérité du monde. Il illustre son raisonnement avec l’image du tonneau des Danaïdes : les danaïdes sont des femmes qui, après avoir commis le meurtre de leur mari respectif, sont condamnées par les dieux à remplir un tonneau de vin. Néanmoins, ce tonneau est percé et dès qu’elles le remplissent, il se vide subrepticement. Cette image est une allégorie du désir : l’action de remplir le tonneau symbolise le fait de combler son désir, le tonneau est le symbole du désir, le fait qu’il soit percé montre que le désir est vain, car il est perpétuel. Il s’agit d’un cycle sans fin qui entraîne les hommes dans la ronde et les force à tenter de satisfaire un désir qui est insatiable. Les stoïciens s’alignent aussi avec la pensée d’Épicure. Courant de l’Antiquité, le stoïcisme tient à détacher l’homme en corps et en âme : ils prônent l’ataraxie. Pour eux, l’homme ne doit pas se soumettre aux passions qui l’animent. Le monde dans lequel nous vivons n’a pas d’impact sur notre âme. Dans un célèbre ouvrage d’Épictète, ce dernier nous donne l’exemple d’un homme qui est fier de son cheval qui est, selon lui, le plus robuste, doté d’une beauté sans égale et à la valeur inestimable. Or, pour Épictète, posséder ce cheval n’a pas d’importance, ne devrait pas en avoir pour cet homme.

En effet, il ne relève pas du corps ni de l’âme de cet homme. Il est totalement indifférent, ne lui apporte rien si ce n’est la célébrité vaine. Par ailleurs, la beauté du cheval va s’altérer avec le temps, il va vieillir et perdre de sa performance. Pour les stoïciens, les objets n’ont pas de valeur ni d’impact sur l’homme. Cela revient à questionner la valeur même du désir qui paraît obsolète. Dans le roman À Rebours de Huysmans, datant du XIXe siècle, un homme vivant une vie luxueuse a serti la carapace d’une tortue d’une pléthore de pierres précieuses. Ironiquement, l’animal décède sous le poids des pierres précieuses très rares. On peut voir à travers cet exemple que le caractère illimité du désir est aussi synonyme d’excès. Cet excès est dangereux pour l’homme qui ne sait se contrôler. Dans Caligula d’Albert Camus, on voit l’absurdité du désir de l’empereur tyrannique qui désire l’impossible : la lune. Son désir est vain, sans satisfaction, car son désir est impossible. C’est bel et bien l’objet désiré qui fournit le désir en abondance et qui le rend insatiable. Mais comment peut-on parvenir à contenir le désir ?

III. Les remèdes à l’intempérance du désir

Pour ne pas laisser le désir consumer le sujet, il faut qu’il désire dans la juste mesure. Comme nous l’avons constaté, c’est dans l’essence même de l’homme de désirer. Pour mener une vie raisonnée et raisonnable et contrôler un désir et ne pas suivre aveuglément nos passions. Les stoïciens nous invitent à suivre les règles cardinales du stoïcisme : faire preuve de tempérance, de mesure, de raison. Il faut toujours évaluer si l’on fera plus de bien que de mal en cherchant à satisfaire ce désir. Fondamentalement, il faudrait porter uniquement nos désirs sur nos besoins, c’est-à-dire les choses nécessaires. Dans L’Alcibiade de Platon, Socrate enseigne à Alcibiade comment être un gouverneur juste et bon. Il lui indique qu’il faut prendre conscience du monde et d’estimer les choses avec raison et réflexion. Cette information est utile pour la gestion du désir. Nous pouvons constater le caractère exclusif du désir propre à un sujet, mais il peut être commun à une cité qui peut, par exemple, désirer un bon chef de gouvernement, la paix, qui est difficile à obtenir à une plus grande échelle qu’à soi-même. Par cet exemple, on peut ainsi constater que le désir est une quête très difficile, une mission difficile à combler.

Conclusion

Pour conclure, le désir est la nature de l’homme. Il peut avoir une fin dès qu’il sera satisfait. Cependant, éprouver du désir est constant chez l’homme, cela témoigne d’un état de manque, manque qu’il faut chercher à combler. Néanmoins, nous avons constaté que dès qu’un désir est comblé, un autre apparaît. C’est dans la nature même du désir. Néanmoins, désirer peut-être à l’origine de bons sentiments tels que le plaisir, la joie, le bonheur. En effet, le désir motive l’homme à se surpasser et à devenir actif, le pousse à émuler autrui. L’homme ne doit pas subir la vie. Or, avec une vision plus déterministe, on peut voir que le désir est un piège, qui n’est pas issu du libre arbitre. Nous nous retrouvons condamnés à désirer, ce qui peut même provoquer la souffrance, voire le malheur du sujet. De surcroît, on peut toujours tenter de maîtriser le désir. Salvateur et synonyme de liberté et de bonheur pour certains, le désir peut nous échapper. La règle fondamentale afin d’éviter d’être la victime du désir est de faire preuve de raison et de réflexion comme l’indiquent les stoïciens.