Remarques du professeur :
1. Problématique claire et très bien exploitée.
2. Solutions intéressantes
3. Analyse rigoureuse, logique pratiquement de bout en bout.
4. Encore quelques usages un peu trop dogmatiques des auteurs (ce qui fait perdre à la l’élégance logique globale).
5. Votre conclusion ne semble pas voir la solution pour laquelle vous aviez pourtant tous les éléments, faute d’être davantage revenue sur le concept de réalisation, lequel est assez bien questionné mais, pour le coup, pas suffisamment : vous aviez les éléments pour démontrer qu’il faut réaliser tous ses désirs si par réaliser ses désirs on entend les rendre comme compatibles avec le réel, à savoir soi-même comme autrui, leur donner donc une détermination objective (sortir, donc, du fantasme).
Le désir est incontestablement une force qui nous anime tous: Platon qualifie l’opinion publique d’un « monstre à mille bouches », qui ne cherche qu’à satisfaire ses désirs. Cependant, il n’est pas question dans le sujet donné de satisfaire ses désirs, mais de les réaliser. Ainsi le désir se doit de ne pas être réel, et donc d’être une fiction, un fantasme. En effet, le désir pulsionnel est défini comme le fantasme d’une jouissance immédiate. Se présentant nécessairement à mon esprit, il a une réalité formelle ; le « réaliser » consiste à donner à l’obtention de son objet une réalité objective. Toutefois, son objet est contingent, pouvant aussi bien être moral qu’immoral ou amoral. La réalisation de tous nos désirs peut-elle alors faire l’objet d’une règle de vie ? Une règle de vie se distingue de la contrainte, car elle n’est pas d’une nécessité naturelle, et du devoir légal, car elle n’est pas une loi imposée par un gouvernement. La règle de vie est un devoir moral, qui constitue un arrachement à la nature et aux pulsions naturelles pour garantir la vie de l’individu en société. Le devoir et le désir ont ce point en commun qu’ils se pensent nécessairement, mais ne s’appliquent pas toujours. Cependant, il faut faire un effort pour agir par devoir, tandis que c’est plutôt pour refouler le désir qu’on a besoin de faire un effort. Autrement dit, si le devoir tend vers la morale, alors le désir tend à s’en écarter.
Nous nous heurtons donc à la difficulté suivante : d’un côté, le devoir implique un arrachement à la nature et aux pulsions, mais d’un autre côté le désir pulsionnel est nécessaire en tant que représentation. L’objet du désir étant contingent, il est immoral de réaliser tous nos désirs car cela deviendrait vite dangereux pour nous-mêmes et pour la société. Cela dit, le désir ne peut pas être supprimé; au mieux, il peut être refoulé, mais cela a pour conséquence la névrose et la psychose. Il semble que ni la réalisation de tous nos désirs, ni leur refoulement ne peuvent être une règle de vie. Pour tenter de résoudre ce problème, nous allons d'abord voir que réaliser ses désirs ne peux pas être une règle de vie. En effet, le désir a un objet contingent, il ne peut pas faire l'objet d'une maxime universelle, et il est tellement ancré dans le monde sensible qu'il empêche l'accès au monde réel des idées. Cependant, dire que ne réaliser aucun désir est une règle de vie n'est pas recevable, car il est impossible de supprimer le désir: non seulement est-il la force qui nous permet de rester en vie, mais il est nécessaire en tant que représentation en ma conscience. Il est certes possible de le refouler, mais cela a pour conséquences des actes manqués et névroses, qui ne sont autre qu'une réalisation inconsciente des désirs refoulés. Cela dit, réaliser tous ses désirs est impossible, car une fois l'objet convoité obtenu, le désir se cherche un nouvel objet; l'individu qui voudra réaliser tous ses désirs se heurtera inévitablement à l'échec et à la frustration. Ainsi, ce n'est non pas en faisant de la pulsion fantasme une réalité objective qu'on pourra réaliser ses désirs, mais en se rendant compte de leur réalité, ce que l'on peut faire grâce à la psychanalyse. Une réalisation des désirs est possible lorsque ceux-ci ne sont pas simple fantasme, mais représentation de certaines règles en vue d'une fin, auquel cas c'est l'individu qui se réalise. Ce désir est en fait la condition de possibilité de l'application de toute règle, de tout devoir, et même de toute morale.
I. Réaliser tous ses désirs ne peux pas être une règle de vie
Dans un premier temps, on constate que le désir pulsionnel ne peut pas être une règle de vie, étant donné que l'objet du désir est contingent. La règle, même si elle ne s'applique pas toujours, est une nécessité morale, et ne peut donc pas avoir pour fondement le désir, dont l'objet peut être bon ou mauvais, juste ou injuste. Par exemple, je peux aussi bien désirer aider un sans abris que tuer une personne qui m'énerve. Cependant, bien que fonder une règle sur la contingence relève d'une impossibilité de droit, c'est une nécessité de fait: toute règle, puisqu'elle doit s'appliquer au réel, a pour vocation de gérer la contingence.
Cela dit, pour être valable, une règle de vie doit pouvoir s'appliquer de manière universelle. Pour définir la morale universelle, Kant nous dit: « Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse toujours en même temps valoir comme principe d'une législation universelle ». On ne peut pas universaliser le fait de réaliser tous ses désirs, car les désirs de tout le monde sont contingents, contradictoires, et parfois même impossibles. Si tout le monde cherchait toujours à réaliser tous ses désirs, la société serait gouvernée par les rapports de force et le chaos. Pourtant, certains désirs peuvent bien être universalisés, tels que le désir de faire le bien, ou le désir de protéger quelqu'un. Peut-être la réalisation de ceux-là peut-elle faire l'objet d'une règle de vie?
La règle de vie, qui relève de l'obligation, implique un arrachement à la nature et aux pulsions naturelles. En effet, d'après Platon, le désir pulsionnel est la cause des illusions et des erreurs de l'opinion, qui est toujours à l'opposé du vrai. Les désirs sont ancrés dans le monde sensible, et sont en bas de la hiérarchie d'une âme bien dirigée. Il faut se détacher de ses désirs pour se servir du Logos, la raison, et accéder au monde intelligible, où se trouve la vérité. Néanmoins, qu'ils doivent être une règle de vie ou non, il est impossible de se débarrasser du désir.
Nous venons de voir dans cette première partie que réaliser ses désirs pulsionnels ne peut pas être une règle de vie, car la contingence de l'objet du désir l'empêche d'être le fondement d'une règle, et le fait que sa réalisation ne puisse pas être universalisée l'empêche d'en être l'objet.
Il semblerait que ne réaliser aucun désir devrait être une règle de vie, car cela permettrait de se rapprocher de la vérité. Cependant, il est impossible de supprimer le désir: en tant qu'il est la force qui nous permet de vivre, que sa représentation est nécessaire et que le refoulement n'empêche pas sa réalisation, réaliser tous ses désirs est une nécessité.
II. Les désirs sont néanmoins nécessaires
En effet, réaliser tous ses désirs doit être une règle de vie, car c'est avant tout une contrainte naturelle. Le désir est une évolution de l'instinct, réaction indépendante de notre volonté qui nous permet de rester en vie. L'absence de désir se traduit en dépression, et peut mener à la mort. Selon Nietzsche, renoncer au désir, c'est renoncer à vivre. Si l'on ne désire rien, si l'on ne veut rien dans la vie, il n'y a aucune chance de progrès, ou même simplement d'action. Si l'on ne désire pas vivre, il ne reste plus qu'à mourir. Cependant, cela ne justifie pas le fait de réaliser tous ses désirs. Beaucoup de désirs sont, au contraire, dangereux pour notre vie ou la vie d'autrui. Par exemple, on ne peut pas dire que le désir de boire, ou le désir de tuer soient des forces qui nous maintiennent en vie.
Quel que soit son objet, le désir reste nécessaire en tant que représentation dans mon esprit. Je ne peux pas m'empêcher d'éprouver un désir. Malgré cela, il me reste le choix d'agir selon ce désir ou non! Je peux choisir de le refouler. Le refoulement est justement la fonction qui nous permet de vivre en société, en nous donnant la possibilité de ne pas agir selon nos pulsions immorales et antisociales.
Il faut cependant comprendre que le refoulement ne supprime pas, ne dissimule pas le désir. Même si l'on n'agit pas pour satisfaire ce désir, Freud explique qu'il reste présent, et se réalise de manière inconsciente par des actes manqués, des obsessions, ou des douleurs physiques. Nous avons par ailleurs nombre de désirs inconscients, dont nous n'avons aucune idée de l'existence, et donc contre lesquels nous ne pouvons pas lutter. Notre contrôle sur nos désirs est très limité. L'excès de refoulement a pour conséquence la névrose et la psychose, maladies psychiques qui sont la réalisation des pulsions refoulées. Elles nous font du mal et nous empêchent de vivre en société, mais Freud affirme que c'est seulement dans la maladie que l'individu est lui-même, car il ne refoule plus. Certes, le désir est une nécessité, mais il est impossible à réaliser: en effet, en cherchant à obtenir l'objet du désir, on tend à le supprimer, et non pas à le rendre réel! Dès que le désir a été satisfait, il se cherche un nouvel objet, que l'on va tenter d'obtenir en espérant être satisfait, tandis qu'en réalité on sera toujours frustré, car une telle quête est interminable. A chaque fois que le désir change d'objet, il est potentiellement refoulé. Plus on tentera de réaliser nos désirs, plus le cycle s'accélèrera, et plus on vivra dans la frustration et la névrose.
Nous venons de voir que, malgré le fait que réaliser tous ses désirs ne peut pas être une règle de vie, c'est une nécessité car le désir est la force qui nous maintient en vie. Il est nécessaire en tant que représentation, et son refoulement n'est qu'une manière inconsciente de le réaliser. D'un autre côté, réaliser tous ses désirs est impossible: à chaque fois qu'un désir est satisfait, un autre nait, et un grand nombre d'entre eux ne sont même pas conscients. Il est donc, d'une part, impossible de faire de la réalisation des désirs une règle, mais d'autre part il n'est pas non plus possible de s'en détacher. Ainsi, faute de pouvoir contrôler ses désirs, il faut non pas essayer de les rendre réels, mais simplement se rendre compte de leur réalité. De plus, en construisant l'objet de son désir, on peut le réaliser, et se réaliser soi-même par cette construction. C'est ce désir qui rend l'application de toute règle possible.
III. La réalisation des désirs doit alors respecter certaines règles
Ainsi, puisque réaliser un désir pulsionnel en cherchant à obtenir son objet est impossible, il faut se rendre compte de la réalité de nos pulsions. En effet, regarder ses pulsions en face permet d'éviter l'excès de refoulement qui aboutit en névroses et psychoses. Si l'on prend conscience de nos pulsions, on peut agir de manière non pas à les satisfaire, mais à éviter qu'elle nous dictent notre conduite. Par exemple, si je réalise que j'ai tendance à beaucoup manger quand j'ai des raisons d'être stressée, au lieu de m'empiffrer je vais regarder en face les événement qui me stressent et essayer de me détendre. La psychanalyse est la technique qui permet de réaliser ses pulsions. Cela permet certes d'éviter la psychose, mais cela ne permet pas de sortir du cercle vicieux du désir qui se cherche sans cesse un nouvel objet contingent.
Pour y remédier, il est possible de canaliser son désir en construisant son objet, qui cesse d'être contingent. D'après Kant, le désir devient volonté lorsqu'il est « la faculté d'agir conformément à la représentation de certaines règles et en vue d'une fin ». C'est par exemple le désir de devenir ingénieur, que l'on réalise en faisant un Bac S, en parlant à d'autres ingénieurs, et en intégrant une université où l'on apprendra ce métier. Ainsi, ce désir médiat permet d'atteindre un but, par la réalisation de l'individu lui-même et par sa sociabilisation.
Enfin, il faut rappeler que c'est justement grâce à cette volonté que toute règle est appliquée. En effet, d'après Locke, une loi n'est appliquée que si elle est reconnue par le peuple, et c'est cette reconnaissance qui lui donne sa légitimité. Cela est d'autant plus vrai pour une règle de vie, qui est une obligation qui n'est pas imposée par une autorité, mais qui se pense spontanément. La condition de possibilité de toute règle de vie, de tout devoir moral, est donc le désir. On ne peut pas penser l'un sans l'autre. On n'agit selon la morale que parce qu'on le veut.
Conclusion
Pour conclure, nous avons vu que réaliser tous ses désirs ne peut pas être une règle de vie, car ce n'est pas une maxime que l'on peut universaliser, car l'objet du désir est contingent, et car le devoir implique un arrachement à la nature et aux pulsions. Cependant, réaliser ses désirs est une nécessité, car renoncer au désir, c'est renoncer à vivre. Le désir se représente nécessairement à mon esprit, et si je le refoule, il se réalisera inconsciemment. Malgré cela, le désir est impossible à réaliser, car il n'est jamais satisfait et change d'objet à l'infini. La solution est donc réaliser ses désirs en se rendant compte de leur réalité, ou en construisant leur objet et en se réalisant nous-mêmes. Ce désir médiat et sociogène est en fait la condition de possibilité de toute règle de vie, qui ne s'applique que si on le veut. On ne peut pas opposer les concepts de devoir moral et de désir car ils sont impossibles l'un sans l'autre. Ainsi, réaliser tous ses désirs
n'est pas une règle de vie, mais certains désirs doivent être réalisés. A partir du moment où l'on construit l'objet de son désir conformément à la représentation de règles, on peut faire de sa réalisation une règle de vie, car c'est ainsi que l'on pourra vivre, progresser, et avoir la possibilité d'agir selon la morale.