Si l'on en croit l'étymologie, le mot désir vient du latin désideratio qui signifie le ciel ou la constellation. Il est nécessaire de faire un lien entre être et désir. En effet, le désir pour l'homme, c'est manquer de quelque chose et substituer à distance de lui, et être, c'est prendre pleinement conscience de soi et du monde qui nous entoure. On peut aussi différencier le besoin du désir, ce premier exprime quelque chose de naturel et de vital, alors que le désir est quelque chose de très superficiel et inutile.
L'existence humaine est-elle structurée par le manque ?
Le désir se révèle à nous par l'intermédiaire d' une expérience aussi douloureuse qu' inévitable, celle du manque de quelque chose que nous ne pouvons espérer trouver qu'en dehors de nous. Comme si l' être humain, quelque soit la richesse de sa vie intérieure, peinait à trouver en lui même ce qui est pour lui essentiel. L' existence humaine est structurée par le manque donc par l'imperfection. "Si je désire, c' est à dire qu'il me manque quelque chose, cela prouve bien en effet que je ne suis pas tout parfait". (Descartes, dans La IIIème Méditation Métaphysique. La vie prend toute sa valeur si l'on en croit Platon dans la mesure même où l' inquiétude d' un désir fait progresser le sujet désirant . "D'un beau corps à deux, de deux beaux corps à tout les beaux corps et des beaux corps aux belles occupations, et des occupations vers les belles connaissances" (Platon, Le banquet). Une vie bien remplie est donc une vie qui sait de quoi elle manque, et donc s'en met résolument en quête. Peut-on voir dans le désir l'essence de l' homme ? Les personnes matérialistes ne vivent qu'à travers le désir qui voient en lui la satisfaction, le bonheur, l' évolution. Or, le désir et assez nuisible puisque l' on rentre dans un cercle vicieux : plus je possède, plus je désire. Aux yeux de Platon, rares sont les âmes susceptibles de se détourner des jouissances sensibles, pour se soumettre au désir qui les oriente en direction des réalités vraies, c'est à dire intelligibles. Spinoza donne au désir une signification essentielle, tout chose pour lui s'efforce de persévérer dans son être (évolution) et n'a même pas d'autre essence que cet effort lui même. Le conatus que l' on apporte à l' esprit définit la volonté mais rapporté à la fois à l' esprit et aux corps, comme c' est le cas chez l' homme, il doit être déterminé comme appétit. Or, l' appétit avec la conscience de l' appétit n'est pas autre chose que le désir. Le désir est l' essence même de l' homme. Le désir, qui est notre être, se manifeste comme plénitude et affirmation de soi. Pour Spinoza, il y a autant de désir qu' il y a d' objets possibles du désir. Il semble que l' être humain ne puisse véritablement être lui même qu' en se reconnaissant comme sujet désirant.
L'homme peut-il être sans désirer ?
Il s'agit là, en effet, d' assembler le mot être et le mot désir. Etre, c'est avoir pleinement conscience de soi, du bien et du mal; désirer, c'est être dans l'insatisfaction, le manque, être toujours à la recherche d'un bonheur. Certes, l' être humain est fait de sorte qu'il a besoin de désirer certaines choses pour vivre ou qu' il y a certains désirs qu'il peut qualifier de plaisirs. Ce sont des choses qui ne sont pas essentielles et dont on peut se passer pour mener son existence à bien. L'homme vit alors à travers le désir et en est victime. Par exemple, la société de consommation qui fait tout pour apater le client, qui se place en position de victime. Pourrait-on alors affirmer qu' il n' est pas d' existence sans limites ? Certes, l' homme a conscience de ses propres limites même si son désir est infini. Il lui faut alors accepter la réalité et vivre avec ses moyens. Le désir n'est-il pas nécessairement passif ? Le désir est à la source de toutes nos activités. Spinoza affirme que lorsque nous sommes purement actifs, c'est précisément sous l'influence du désir. Selon Descartes, tout désir serait lui même une passion résultant d'une action exercée sur l'âme par le corps. Les passions de l' âme traduiraient le retentissement dans l'âme de phénomènes corporels. On pourrait tenter une explication physiologique du désir sexuel, par exemple, Descartes a fourni une sorte de traduction mécaniste du mythe de l' androgyne. Certains savants contemporains attendent de la neurobiologie qu' elles permettent d' élucider aussi bien la nature du désir sexuel que les causes organiques du désir dont semble frapper les anorexiques. Ou bien faut-il voir dans le désir un processus plus complexe qu'il ne faudrait pas se représenter comme une relation à deux mais comme une relation triangulaire entre un sujet désirant, un objet désiré et un tiers réel ou imaginaire. C'est une conception défendue par René Girard qui s'en prend à ce qu'il appelle le message romantique qui fait passer le désir pour un phénomène spontané "Seul l' être qui nous empêche de satisfaire un désir qui nous a lui même suggéré est vraiment objet de haine."
Ce qui semble certain, c'est qu'un sujet en qui tout désir serait tari, serait affectivement, sinon intellectuellement, aussi mort que le serait physiologiquement un être dont les besoins biologiques n'auraient pas été satisfaits. Cependant, mon désir m'est rigoureusement propre, nul autre que moi ne peut en faire l'expérience. Faut-il dès lors définir l'homme par la conscience qu' il peut prendre de son désir, grâce à quoi le désir serait essentiellement lié à la liberté ?