La formulation de l'intitulé est étonnante, comme si la punition n'était pas évidente, mais déjà en discussion. Quand la discussion peut-elle être légitime ? qu'est-ce qui la rend illégitime ? est-il vain de punir si la punition ne peut avoir les conséquences que l'on attendait ? Si l'on questionne la légitimité cela suppose d’exclure toute idée de punition comme vengeance, comme réaction immédiate et non réfléchie. Punir devient alors un acte qui n'est pas du tout automatique, comme si selon la loi il ne pouvait y avoir automatisme dans la réponse aux délits. Cela suppose que la punition ne se justifie pas à chaque fois par l'application pure et simple de la loi. Pourquoi ? N'est-ce pas de la nature de la loi de faire automatiquement comprendre qu'il y ait eu transgression ? Si l'on prend en compte des circonstances atténuantes, n'est-ce pas à terme effacer la responsabilité individuelle ? Que vaut une loi si elle ne repose plus sur la responsabilité est individuelle ? Auquel cas punir n'est pas légitime, mais nécessaire, voire inévitable.
L'homme a-t-il le droit de punir l'homme ? le problème apparaît avec une évidence saisissante quand il s'agit de la peine de mort, car enfin, en tuant le criminel il semble que la justice s'arroge un privilège véritablement divin. L'homme ne crée pas la vie, il la reçoit : il ne lui appartiendrait pas, en conséquence, de la supprimer.
Sans même penser à la peine de mort et sans faire intervenir l'argument théologique, on aperçoit le paradoxe de toutes sanctions. La sanction imite ce qu'elle entend sanctionner. Toute sanction est une violence, et par là une atteinte à la personne humaine. La sanction a pour but de châtier les violents mais elle ne les châtie qu’en introduisant une nouvelle violence dans le monde. La peine capitale, qui tue le meurtrier, l’imite, loin de ressusciter la victime ; au bout du compte on a deux morts au lieu d'un (le marquis de Sade disait que la justice n'a même pas d'excuses - comme les meurtriers qu'elle punie - de tuer par passion, elle tue à froid, par méthode et délibérément).
Un moyen très simple, pourtant, de justifier les sanctions consistent à un requis et l'utilité sociale. La société a le droit de protéger ses membres sains et d'empêcher de nuire ses brebis galeuses. À la limite on supprimera le monstre moral comme on supprime un serpent venimeux; ou bien on punira pour faire un exemple, pour effrayer l'imitateur éventuel : sanctions intimidatrice. En Angleterre, jusqu'au milieu du XIXe siècle, les jours de pendaison étaient chômés, pour que tout le monde assiste au spectacle, afin qu’ainsi les meurtriers en puissance soient épouvantés (et aussi peut-être donnent à leur goût de la violence, par ce spectacle horrible, une sorte de satisfaction substitutive).
Cette théorie utilitaire de la sanction peut être critiquée tout d'abord à partir de ses propres principes. La sanction assimilatrice manque souvent son but. Aussi étrange que cela puisse paraître, on sait aujourd'hui que la peine de mort encourage certains délinquants plus qu'elle ne les décourage (parce qu'elle marque le coupable d'un sceau tragique et lui donner une sorte de gloire ; dans les prisons, les condamnés à mort sont vénérés comme des héros). Les sanctions poussent souvent à la révolte plus qu'au repentir. Les prisons ont été parfois de vraies écoles du crime (maison de correction devint en faite maison de corruption). Comme disait Dostoïevski, dans Souvenir de la maison des morts, en 1862 : « Le bagne, les travaux forcés ne relèvent pas le criminel ; ils le finissent tout bonnement en est garantissent la société contre les attentats qu'il pourrait encore commettre. ».
Mais quand bien même la sanction réussirait son effet d’intimidation (Benoît Méchin raconte qu'au pays d’Ibn Seoud où les voleurs ont la main coupée, on peut laisser un sac d'or dans le désert et de retrouver intactes un an après !), elle ne serait pas pour autant moralement justifier. L'instinct défensif de la société se protège n'est pas un mobile moral. Faire son devoir par intérêt n'est pas moral ; punir par un intérêt non plus. Comme dite et Janet : « si les punitions n'étaient de la part de la société que des moyens de défense, ce serait des coûts, ce ne serait pas des punitions. »
D'où l'apologue célèbre de Kant dans les principes métaphysiques du droit. Si la société civile venait à se dissoudre du consentement de tous ses membres, comme si par exemple un peuple habitant une île se décidait à la quitter et à se disperser, le dernier meurtrier détenu dans une prison devrait être mis à mort avant sa dissolution ! Le sens de l'apologue, c'est que la société doit punir même si cette punition n'a plus d'utilité. Punir le coupable pour servir d'exemple aux autres est immoral, c'est traité la personne du coupable comme un simple moyen. Selon Kant, il faut punir parce que la faute exige - au point de vue morale -une sanction. Le droit de punir devient ainsi le devoir de punir.
Platon disait : pour le juge punir est un devoir, pour le coupable être puni est en quelque sorte un droit ; c'est la formule exposée dans Gorgias. Le coupable a droit aux juges comme le malade au médecin (Hegel dans ses principes de philosophie du droit au prendra les formules du « droit à la punition » considérée comme un droit du coupable lui-même ).
« La vengeance se distingue de la punition en ce que l'une est une réparation obtenue par un acte de la partie lésée, tandis que l'autre est l'oeuvre d'un juge. C'est pourquoi il faut que la réparation soit effectuée à titre de punition, car, dans la vengeance, la passion joue son rôle et le droit se trouve ainsi troublé. De plus, la vengeance n'a pas la forme du droit, mais celle de l'arbitraire, car la partie lésée agit toujours par sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi bien le droit qui prend la forme de la vengeance constitue à son tour une nouvelle offense, n'est senti que comme conduites individuelles et provoque inexpiablement, à l'infini, de nouvelle vengeance. » Hegel.
Il y aurait entre la faute et la punition une sorte d'équivalence rationnelle, d'harmonie nécessaire (Leibniz disait qu'une sanction adaptée à la faute satisfait l'esprit comme une belle architecture ou comme une symphonie très harmonieuse). La nécessité de l'expiation serait même inscrite dans les profondeurs de l'organisme (le sentiment de culpabilité provoquant, selon le psychanalystes, une autopunition sous forme de maladie, asthme, ulcères à l'estomac, etc.).
Toutefois la théorie de l'expiation paraît discutable à certains. En quoi une souffrance rachèterait-elle une faute ? Si c'est ma volonté qui est coupable, en quoi la sanction qui frappe ma sensibilité et par telle la faute ?
C'est pourquoi on s'oriente plutôt aujourd'hui vers une conception de la sanction rééducatrice. L'idée que le coupable est un malade, tout au moins un désadapté, paraît une idée féconde, riche en germe de progrès. La société s'oriente donc vers les pratiques de rééducation psychologique (inspirées de la psychanalyse) et surtout social (par exemple apprendre un métier au condamné afin de préparer sa réinsertion dans la vie sociale).