La notion "d'œuvre d'art" est, depuis des siècles, sujet à polémique. Car l'œuvre d'art est avant tout une création; la création d'un homme que l'on nomme "artiste", car capable de créer "le beau". La place de l'artiste, son utilité, sont, elles aussi, discutées. Lorsque l'artiste choisit d'exposer, de présenter ce qu'il a créé, il s'expose, et le sait, à un jugement, à un regard, qui vont décider de l'avis du spectateur. Dans ces conditions, le regard du spectateur fait-il l'œuvre d'art ? S'interroger sur le statut de l'œuvre d'art, c'est s'interroger sur le statut d'artiste, sur ce qu'il désire faire. C'est aussi s'intéresser à la notion de jugement, à l'importance que le regard extérieur a. Enfin, il faut dégager l'utilité de l'œuvre d'art, les raisons qui permettent à l'œuvre d'être une œuvre d'art. L'œuvre d'art n'existe-t-elle, n'a-t-elle d'importance et de valeur qu'à travers le regard du spectateur ? Quand peut-on parler d'œuvre d'art ? Existe-t-elle pour elle-même ?
I. L'artiste est un être désintéressé
La fonction de l'artiste est, avant tout, de faire de l'art. C'est un créateur. Il n'a pas décidé d'être artiste, mais de créer, ce qui lui donne son statut d'artiste. Il sculpte, peint, écrit, d'une manière unique, parce que c'est ce pour quoi il est fait et que même s'il décide de reproduire une de ses œuvres, elle ne sera jamais strictement identique à la précédente. Il se distingue en ce point de l'ouvrier, qui répète les mêmes gestes, qui suit des étapes de production précises afin de reproduire point pour point la même chose afin de vendre. L'artiste est donc un créateur, mais l'art est une représentation.
L'artiste crée, inconsciemment ou non, une représentation. Il peut donc choisir de représenter fidèlement une scène de la vie quotidienne, un paysage, une personne, des fleurs, avec des méthodes précises, c'est le cas de l'impressionnisme par exemple, pour dénoncer quelque chose, pour tout simplement faire partager un paysage magnifique. Malgré cette recherche de la perfection, sa représentation est subjective, car il ne peut transmettre la beauté de ce qu'il a apprécié de façon totale puisque sa vision est personnelle. Il peut aussi choisir de déformer volontairement, d'offrir une vision améliorée ou non. Il peut représenter ce qu'il ressent, ce qu'il trouve injuste, tenter d'attirer l'attention afin de mettre en avant un évènement, car l'art est pour les artistes un exutoire.
L'artiste a besoin de créer. Il ne le sait pas toujours, mais c'est un besoin pour lui, car il n'est pas devenu artiste, il l'a toujours été. Sans le comprendre, il se sent différent, il a besoin d'un moyen spécifique pour exprimer ce qu'il ressent. L'artiste se sent parfois incompris, comme extérieur aux autres. Il se sent enfermé dans une vision des choses qu'il ne choisit pas, il voit les choses pour ce qu'elles sont et non pour leur utilité. Les artistes sont des êtres pour la plupart tourmentés, en quête d'un moyen d'expression. Certains sont devenus fous, malades, n'ont été reconnus qu'après leur mort, mais pour tous, l'art sert à s'exprimer et se libérer. L'artiste ne cherche donc pas à s'enrichir, mais à créer afin de s'exprimer ou de représenter une réalité. L'artiste crée donc une œuvre, mais cela ne suffit pas à lui donner le statut d'œuvre d'art.
II. Le jugement du spectateur est primordial
Un homme qui crée de l'art est un artiste. Mais suffit-il de créer de l'art pour être artiste? L'art est à l'origine le beau, mais la notion de beau a pour contraire le laid, et évaluer une chose belle ou laide est une chose impossible puisque ce jugement dépend de chacun. On distingue donc artistes, bons artistes, mauvais artistes en fonction de ce que l'on ressent face à l'œuvre. Si l'on ne peut s'entendre sur la notion de beau, on ne peut s'entendre sur la notion d'artiste. Certains vont donc par exemple trouver très intéressante une toile simplement peinte en blanc, tandis que d'autres y verront le comble du ridicule et de l'inutilité. Le jugement que l'on porte sur une œuvre dépend de l'ouverture d'esprit, de son passé, de ce que l'on perçoit. Si l'artiste ne cherche pas et ne peut pas satisfaire, plaire à tous, son utilité n'est-elle que de plaire à quelques-uns ?
L'art est aussi un métier. Il permet à certains d'en vivre, d'autres se satisfont seulement de l'œuvre. Même si ce métier est parfois ingrat, l'artiste persévère face à la parfois parfaite incompréhension du spectateur. En effet, l'art est un travail au même titre que les autres, avec des règles à suivre, un travail long, dur parfois, qui devraient pouvoir permettre à l'artiste d'en vivre. Mais ce métier est plus étudié, jugé que les autres puisque sa vocation est aussi de plaire.
On se rend alors compte que, pour une raison de point de vue, une œuvre va être adorée, admirée et rencontrer un grand succès et une reconnaissance; son créateur devenir célèbre, même riche, pour une œuvre qui ne plaît bien évidemment pas à tout le monde. Parallèlement, une autre sera rejetée, incomprise, son créateur être méconnu et pauvre. L'art est donc un métier aux règles bien précises dont la réaction des spectateurs décide si telle ou telle œuvre aura du succès. Peut-on juger une œuvre d'art uniquement sur sa finalité?
III. L'œuvre d'art est utile à l'artiste
À la base d'une œuvre, une idée, un choix, une décision de créer. Avant même d'avoir tiré le premier trait de crayon, d'avoir fait une esquisse, d'avoir mélangé différentes peintures, l'artiste choisit de créer. Chaque étape de création avant même sa finalisation ou son ébauche en fait une œuvre d'art déjà unique. Avant que le spectateur n'ait posé son premier regard, l'œuvre d'art existe dans la pierre qui va être sculptée, sur la toile qui va être peinte, sur la feuille encore blanche sur laquelle il va écrire. L'œuvre d'art n'a pas besoin d'être finalisée, certains ont exposé des croquis intermédiaires qui ont été très célèbres et reconnus. Ce n'est pas l'œuvre qui fait l'artiste, l'œuvre est l'artiste, et est en lui sans même qu'il en soit conscient. Pour lui c'est naturel, évident, est-il alors conscient de son statut d'artiste? Comment sait-il quand son œuvre est finie ?
Lorsqu'il crée, et lorsqu'il commence son œuvre, l'artiste ne sait pas ce qu'elle sera lorsqu'il l'aura terminée. Elle voit le jour à chaque instant à travers l'artiste qui se révèle. Lorsqu'il débute, il ne sait pas pour combien de temps il en aura. Il a le besoin d'exprimer, alors il crée, améliore, transforme jusqu'à ce qu'il soit satisfait, ou, sans éprouver obligatoirement de plaisir, jusqu'à ce qu'il réalise qu'il a exprimé ce qu'il avait besoin de transmettre.
Lorsqu'il franchit cette étape, il ne se demande pas si elle va plaire, il a seulement le sentiment d'avoir accompli son travail, c'est ça, un artiste, c'est quelqu'un qui ne s'intéresse pas au jugement, mais qui désire juste faire son devoir. L'artiste se suffit donc à lui-même, ne recherche pas la reconnaissance, mais un apaisement moral. Et pourtant son œuvre s'achève dans le jugement esthétique porté sur elle-même.
Conclusion
L'artiste est donc artiste parce qu'il crée des œuvres afin de se libérer dans une démarche désintéressée. Il cherche parfois à représenter ce que la société signifie pour lui, ce qu'il y voit. Il le fait d'abord parce que c'est un besoin, mais aussi parce que c'est son métier. Il est victime des jugements des spectateurs qui par leur point de vue décident du succès ou non d'une œuvre. Mais ce n'est pas le succès qui fait que l'on est artiste, c'est le sentiment du travail accompli, le soulagement ressenti. Et puisque l'œuvre et l'artiste ne font qu'un, l'œuvre exprimant la pensée de son créateur, l'œuvre d'art ne peut être jugée seule, car elle se trouve au milieu d'une boucle comprenant l'imagination de l'artiste, sa façon de voir et percevoir les choses qui l'entourent, le travail qu'il accomplit, sa finalité n'ayant qu'un rôle presque minime. L'œuvre d'art fait partie de tout un ensemble. Ce phénoménal labeur ne peut être jugé par des spectateurs non concernés et ne comprenant pas la démarche de l'artiste. Le regard du spectateur est à la base du succès de l'œuvre, il fait son succès ou non, mais pas sa réussite. Sa réussite a commencé au moment même ou l'artiste a su qu'il était différent et a su qu'il allait créer. C'est donc le travail de l'artiste, et sa différence qui font l'œuvre d'art. Le regard apporte la reconnaissance ou non, mais l'artiste ne cherche pas la reconnaissance. Il y aura toujours des gens qui aimeront et comprendront les tableaux blancs et ceux qui ne l'accepteront pas.