Est-il raisonnable de dire « à chacun sa vérité » ?

Niveau terminale, il s'agit d'un devoir maison sur lequel j'ai passé plusieurs jours.

Dernière mise à jour : 28/01/2025 • Proposé par: Jacky le bricoleur (élève)

Ne nous est-il jamais arrivé de discuter avec quelqu’un, et de voir que cette personne partage une idée différente de la nôtre alors qu’elle nous semble pourtant si évidente ? La discussion et les interactions sociales font en effet partie de notre vie quotidienne, et il serait miraculeux que nous ne tombions jamais de notre vie sur au moins un interlocuteur qui n’ait pas la même opinion que nous. Parfois, le débat ne prend pas de fin, alors un des deux en conclut que « chacun a sa vérité ». La vérité, objectif ultime de nombreux philosophes, pourrait être définie parmi de nombreuses définitions, comme l’adéquation entre une pensée et la chose. Cette notion de vérité implique en plus de cela l’universalité. Autrement dit, c’est la conformité exacte entre ce que je pense et la réalité par rapport à laquelle mon idée se réfère.

Cependant, ce que moi j’émets comme pensée est-il la conformité unique à la réalité ? De cela découlent deux choses, l’une : ou bien il faut accepter que toute vérité soit subjective, car tout ce qui est vrai dépend du point de vue de chacun, mais alors il n’y a plus de différence entre le vrai et le faux et plus rien ne sert de communiquer, ou bien toute vérité est absolue, car il n’y a qu’une seule position objective, mais alors on doit rigoureusement vérifier quelle position est la correcte. Finalement, est-il raisonnable de dire : « à chacun sa vérité » ?

En étudiant d’abord la possibilité d’une vérité subjective et propre à chacun, nous finirons par n’avoir nul autre choix que d’avouer qu’il n’existe qu’une seule transcription exacte de la réalité. Mais reconnaître qu’il n’y a effectivement qu’une seule conformité objective entre l’idée d’une chose et sa réalité, c’est se lancer dans une longue quête d’une vérité objective à partir d’outils limités.

I. Il y a plusieurs vérités

Tout d’abord, la subjectivité, c’est une possession personnelle, une considération de la réalité qui est intime à chaque être en fonction de ses expériences personnelles et de son environnement culturel. Si la vérité est subjective, en toute logique, cela impliquerait en conséquence que la vérité est différente et personnelle pour tous.

a) L'invitation à la tolérance

Dire que chacun a sa vérité peut être perçu comme une invitation à l’ouverture d’esprit et la tolérance. Elle peut aussi signifier qu’on reconnaît ne pas détenir la vérité absolue. Cette humilité venant de soi peut souligner par ce biais l’importance d’une coexistence pacifique des individus ayant des opinions divergentes. Les bienfaits peuvent en conséquence être nombreux et, en plus de cela favoriser le progrès sociétal.

La démocratie, par exemple, qui est par ailleurs considérée comme la meilleure méthode de « vivre-ensemble » à l’échelle sociétaire, met en avant la liberté d’expression et de conviction, renforçant les débats démocratiques entre différentes idéologies et les opinions différentes qui peuvent s’y exprimer. Autrement dit, elle met en valeur la diversité des opinions, car se restreindre à qu’un seul choix, c’est restreindre ses chances de savoir davantage et de progresser.

b) La subjectivité dû aux différents points de vue, différentes sensibilités

Cette pluralité des vérités est d’autant plus valable, puisqu’il arrive parfois que l’angle de vue puisse influencer notre vision de la réalité. Par exemple, si je dessinais le chiffre 6 par terre, et que mon interlocuteur se trouvait en face de moi, de l’autre côté du 6, il ne verrait pas la même chose que moi. Je dirais qu’il s’agit d’un 6, ce qui est vrai, tandis que lui me dirait que c’est un 9, ce qui est vrai aussi. De la même manière que si je dessinais un 8 par terre, et que mon interlocuteur se trouvait à ma droite ou à ma gauche, je dirais donc qu’il s’agit de 8 alors qu’il dirait au contraire qu’il s’agit du signe infini. Dans ce cas-là, la vérité dépendrait de ce fait de nos points de vue et serait donc relative à nos perspectives individuelles.

Dans le cas où la perspective n’est pas mise en jeu, la vérité peut aussi dépendre des interprétations des faits. Il arrive aussi souvent que des évènements soient interprétés de manières différentes. Parmi les plus fréquents, il y a la distinction du « gentil et du méchant » dans les faits historiques qui peut être traduite différemment. Dans le cas par exemple du conflit entre la Russie et l’Ukraine, du point de vue de la Russie et d’autres pays, il s’agit d’une opération menée pour le bien de l’humanité, tandis que du côté de l’Ukraine et des alliés occidentaux, il s’agit d’un massacre inhumain et non justifié. Cette expérience peut aussi se répéter de la même manière pour d’autres évènements, tels que le conflit entre Israël et la Palestine qui se réclament de part et d’autre comme la victime de l’autre.

De plus, la vérité peut aussi dépendre de la sensibilité de chacun. L’appréciation d’une chanson par exemple peut différer selon les expériences, le vécu ou encore les sens de l’individu. Une chanson qui peut être joyeuse pour l’un peut être triste pour l’autre. De manière plus générale, un individu qui vivra la même situation qu’un autre ne sera pas affecté de la même manière que l’autre le sera, car son appréhension de cet évènement dépend de ses sens et de ses réactions cérébrales, ce qui signifie que la vérité dépend de l’individu.

c) Le relativisme

L’exploration de cette vision de la vérité nous amènerait naturellement à considérer la doctrine du relativisme, une philosophie qui met en avant la pluralité des vérités, car profondément dépendantes du contexte, du point de vue, et de nombreux autres facteurs. Cette philosophie s’applique par ailleurs à tous les aspects de la vie générale. Nous pouvons relever le relativisme culturel qui implique qu’aucune culture est meilleure que l’autre et que chacune conserve ses propres vérités, normes et valeurs ; et que découlant de source, l’individu A ayant grandi dans une culture plutôt qu’une autre aura une vision différente de l’individu B qui n’a pas grandi dans la même que l’individu A.

Une opposition pertinente serait celle qui met en jeu la médecine occidentale et la médecine chinoise, car chacune des deux médecines a des manières différentes de soigner et traiter. Une comparaison un peu plus polémique dans notre société actuelle serait celle des différences du seuil d’âge avant le mariage des filles dans le monde occidental et dans le monde oriental. Ce relativisme culturel qui met toutes les civilisations, incluant leurs normes et valeurs au même niveau, nous oblige à relever de pair le relativisme moral, qui remet en cause le jugement objectif de valeurs morales. Autrement dit, une action n’est pas moins morale qu’une autre.

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Or, si cette philosophie s’applique sur tout, une limite est très rapidement atteinte. Si le relativisme met en avant l’infinitude de vérités, elle contredit l’implication d’universalité dans la vérité, et ruine la notion même de vérité, puisque deux vérités qui s’opposent ne peuvent pas coexister.

Nous nous retrouverions donc face à l’abolition de tous critères de distinction entre le vrai et le faux, et il n’y aurait plus d’intérêt à débattre avec autrui puisque chacun a raison. De plus, l’affirmation « il n’y a pas de vérité absolue » est un paradoxe en soi, car, si toute vérité est relative, comment l’affirmation du relativisme peut-elle être absolument vraie ?

II. Il n'y a en fait qu'une seule vérité

Ainsi, il ne serait pas raisonnable de dire « à chacun sa vérité », mais plutôt « à chacun sa conception de la vérité » ou encore « à chacun son opinion sur la vérité ». Par raisonnement par alternative, s’il n’y a pas plusieurs vérités, il n’y en a qu’une seule, une qui est universelle.

a) S'il y a un moyen d'atteindre, la vérité, c'est la raison

De nombreux philosophes qui se revendiquent rationalistes, tels que Platon ou Descartes, disent qu’afin de détenir le savoir, il faut avoir des raisonnements logiques, parce que la raison ne ment jamais ; elle ne trompe jamais. La raison est, pour eux, le seul et unique outil commun à tous les êtres humains afin de connaître la vérité. Autrement dit, la logique est un moyen universel de rassembler tout le monde dans le but d’être d’accord sur un même fait, soit une vérité universelle : si une chose est vraie pour moi, elle est vraie pour vous, et si elle est vraie pour vous, elle est vraie pour tout le monde.

La vérité ne serait donc accédée non pas par nos perceptions ou notre sensibilité, mais par notre raison, car là où la sensibilité nous sépare, la raison nous rassemble. Un exemple de raisonnement logique serait de dire que, si tous les hommes sont mortels, et que Socrate est un homme, alors, Socrate est un mortel, et ce, nécessairement. Ici, si nous écoutions notre raison, il serait impossible pour quiconque de parvenir à une conclusion différente de celle émise. Ainsi, la vérité est objective, tandis que l’opinion est subjective. L’opinion n’est donc pas la vérité, mais elle est ce qu’on croit être la vérité.

b) Il n'y a donc en effet qu'une seule vérité

Il est donc important de faire la différence entre la vérité, et notre point de vue sur la réalité, car si je prends par exemple un cube, et que je vous demandais combien de faces vous en voyiez, vous ne verriez jamais plus de 3 faces en même temps, alors qu’en réalité, un cube n’a pas seulement 3 faces, mais 6 faces. Un cube a forcément six faces distinctes, et le fait que j’énonce, il est universel.

Cette notion de vérité universelle peut s’appliquer à tout autre exemple : si, dans des conditions normales, l’eau pure bout à 100°C, alors elle ne peut pas bouillir à une autre température différente de 100°C. Il serait irrationnel de dire que l’eau pure bout à 100°C, mais aussi à 2°C dans les mêmes conditions. De la même manière, il serait irrationnel de ne pas admettre que, chaque jour, le soleil se lève à l’Est et se couche à l’Ouest comme Jackie Chan l’a dit dans Shanghai Kid.

c) L'absolutisme

Cette deuxième exploration de la vérité nous amène de la même manière à naturellement aborder la doctrine de l’absolutisme, qui au contraire du relativisme affirme qu’il y une vérité universelle. Et comme le principe du rationalisme l’indique, pour atteindre le savoir et la connaissance d’une vérité universelle, il faudrait procéder par un raisonnement logique, qui implique des prémisses vraies (c’est-à-dire des faits à partir desquels nous établissons notre réflexion qui sont vrais) et un ordre de réflexion correct.

Par exemple, si je reprends l’exemple que tous les hommes sont des mortels, et que Socrate est un homme, il s’agit bien d’un raisonnement logique qui ne mène qu’à une seule et unique conclusion logique : Socrate est mortel. Si je prends un autre exemple, qu’A est plus grand que B, et que B est plus grand que C, alors cela nous mènerait à la conclusion logique qu’A est plus grand que C, quoi que nous pensions d’A, B ou encore C ! Mais comment puis-je être certain qu’A soit plus grand que B ou bien que B soit plus grand que C ? Si C était en face de moi et qu’A se trouvait à 100 mètres de moi, C m’apparaîtrait bien plus grand.

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Car en effet, si pour avoir un raisonnement logique qui conduit obligatoirement à une vérité universelle il faudrait que les prémisses soient vraies, cela nous amènerait à également tenir une réflexion logique afin de démontrer que celles-ci le sont. Pour démontrer la validité des prémisses, il faudrait d’autres prémisses vraies, qu’il faudrait elles aussi prouver vraies.

Cela nous mènerait à une récession à l’infini et donc, soit à l’impossibilité de trouver une vérité absolue, soit à se demander, puisque la vérité est tributaire à la réalité, comment nous pouvons comparer une « vérité » à une réalité qu’on ne trouve pas. Mais alors, si le raisonnement logique tout seul ne suffit pas, quelles alternatives pouvons-nous explorer pour approcher la vérité et la réalité à laquelle elle s’accorde ?

III. La recherche de la vérité par la science

S’il y a bien un domaine qui se spécialise dans la quête de l’objectivité, c’est la science. Là où la raison ne suffit pas à reconstruire le réel, la science combine une harmonie rigoureuse entre expériences et raisonnement logique pour y trouver un semblant plus proche que le précédent de la réalité.

a) Les limites de la condition humaine et l'intervention de la science

En effet, d’après Emmanuel Kant, notre sensibilité est notre seul outil d’accès à la réalité (et non à la vérité) qui cependant agit comme filtre ne nous donnant que la réalité de certains phénomènes. Dans La critique de la raison pure, il explique que l’être humain est limité par sa condition humaine. C’est précisément cette reconnaissance des limites humaines qui pousse la science à adopter une méthode rigoureuse, cherchant à réduire l’impact des biais perceptuels par des expériences contrôlées et des raisonnements logiques. Ainsi, la science devient un moyen d'approcher une version plus objective de la réalité, en se basant sur l'observation et la répétabilité, plutôt que sur une perception subjective.

En répétant la même expérience pour rechercher une régularité dans les évènements, et en y trouvant l’invariable dans la variation, nous pouvons en dégager une construction objective venant de la confrontation des points de vue sur ce phénomène. Autrement dit, si un phénomène ne varie pas d’un sujet à un autre, il ne dépend pas des sujets, et est donc appelé objectif. Par exemple, si je lâche une balle, et que je répète l’expérience n fois, la balle tombera n fois, car quel que soit le nombre de répétitions de l’expérience, le phénomène qui ne variera pas sera « la balle tombe ». Cette expérience cependant ne suffit pas pour reconstruire la réalité.

C’est ici qu’intervient la raison : avant même de commencer l’expérience, il faut émettre une hypothèse et planifier, tel un architecte, de quelle manière bâtir la réalité, car les hypothèses sont aux expériences ce que les fondations sont aux murs : elle permet d’effectuer une reconstruction de la réalité qui est solide et cohérente. Ainsi, dans l’expérience « la balle tombe », il faudrait une hypothèse, telle que « les objets sont contraints à leur poids, et ce poids fait tomber l’objet au repos que je lâche ». En d’autres termes, si je lâche la balle, elle sera soumise à son poids et tombera. La raison scientifique permet donc de relier le phénomène « la balle tombe » et l’hypothèse « la balle est soumise à son poids » pour en dégager des lois universelles, et donc, une vérité universelle.

b) La force des théories et du progrès scientifique

Cependant, nous nous rendons compte rapidement d’une limite à cette science : l’induction. En effet, la science part d’une expérience particulière pour en tirer une conclusion générale, ce qui est contraire à la déduction. Quel que soit le nombre d’expériences effectués, il ne suffirait jamais pour en faire une généralité universelle, car que se passerait-il si la prochaine expérience ne se passait pas comme ma théorie le prévoyait ? Il faudrait tester pour s’en assurer, mais alors cette question reviendrait encore. Et lorsque qu’une expérience contredirait une théorie, alors elle la détruirait pour en laisser place à une nouvelle.

Mais alors cette nouvelle théorie pourrait être réfutée par une expérience. Cela signifierait que la science est en constante évolution. Par exemple, au XVIIe siècle, Isaac Newton, philosophe, mathématicien et physicien s’est concentré sur le sujet de la gravité. À la suite de ses observations et de sa réflexion, il a formulé la loi de la gravitation universelle, théorie qui stipule que chaque corps dans l'univers attire chaque autre corps avec une force proportionnelle à leur masse et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare. Newton a ainsi établi un cadre qui a permis de prédire avec précision le mouvement des planètes et des objets sur Terre et donc théoriquement trouvé une vérité universelle.

Or, au début du XXe siècle, Albert Einstein a remis en question cette conception à travers sa théorie de la relativité générale. Selon Einstein, la gravité n'est pas simplement une force agissant à distance, comme l'avait suggéré Newton, mais plutôt une déformation de l'espace-temps causée par la présence de masse. Un objet massif comme la Terre courberait donc l'espace-temps autour de lui, influençant le mouvement d'autres objets. Cette perspective a non seulement révisé la compréhension de la gravité, mais a également ouvert la voie à de nouvelles découvertes, comme la précession de l'orbite de Mercure, qui ne pouvait pas être expliquée par la loi newtonienne.

c) Le faux comme moyen d'aller vers le vrai

Si d’après la définition de la vérité, elle est universelle, cela signifie qu’une des deux théories est fausse, ou même que les deux sont fausses car il y a peut-être une autre théorie qui est vraie. Cela montre que les sciences sont en évolution continuelle, dont les expériences ne servent pas à confirmer, mais à réfuter. Car oui, est scientifique ce qui est réfutable ! Il ne suffit pas d’un exemple pour prouver qu’une théorie est vraie, mais il suffit d’un contre-exemple pour prouver qu’une théorie est fausse, et donc la remplacer par une autre. On garderait donc seulement les théories non réfutées, et c’est là que repose l’histoire de la science.

D’après Karl Popper dans Conjectures et réfutations, c’est la découverte d’erreur qui est l’essence de la science, elle lui permet d’avancer et toujours converger vers la vérité. Les théories scientifiques ne sont donc pas des vérités absolues, mais des constructions temporaires qui peuvent être modifiées ou même complètement renversées à mesure que de nouvelles découvertes émergent ou que les expériences les contredisent. Alors, le faux serait au vrai ce que l’erreur est au progrès.

Autrement dit, le faux est une étape indispensable au parcours vers le vrai. D’après Hegel par exemple, dans la Phénoménologie de l’esprit, la vérité est un processus permanent évolutif qui met en jeu une multitude de stades de conscience, qui à chaque fois accumulent des différents points de vue, des anciennes croyances, erreurs, pour parvenir au progrès vers la vérité. On ne passerait pas du faux au vrai, mais du faux au faux. Autrement dit, nous fonctionnons par auto-négation : nous croyons, donc nous croyons savoir, puis nous nous trompons et nous remettons à croire autre chose. Le faux ne serait donc pas le contraire du vrai, mais un moment du vrai.

Conclusion

Pour conclure, nous progressons vers la vérité en passant nécessairement par le faux. La vérité absolue comme une finalité n’est en fait que processus incessant de la révolution de chaque croyance vers une vérité commune à tous, comme une fonction qui converge vers une limite, sans pour autant la toucher.

Là où dans le relativisme les multitudes de vérités ne pourraient coexister et dans l’absolutisme une vérité absolue inatteignable, ne conviendrait-il donc pas de dire au contraire de « à chacun sa vérité », « à chacun sa fausseté » ?