La liberté est-elle compatible avec le déterminisme ?

Devoir maison qui consiste en un plan détaillé à rédiger.

Dernière mise à jour : 11/02/2024 • Proposé par: LeSau (élève)

Lorsqu’il ne reste sur l’échiquier qu’un roi noir, un roi blanc, et une tour blanche, le joueur noir n’a d’autres choix que de déplacer sa pièce sur une des huit cases l’entourant, et l’on peut donc considérer le joueur libre de jouer comme il le souhaite, parmi les huit coups à sa disposition, en vertu des règles du jeu d’échecs. De même, lorsqu’au début du jeu “The Stanley parable”, le joueur se trouve face aux deux premières portes, il est libre de choisir laquelle emprunter, c’est à lui de décider dans quelle direction faire avancer son personnage, mais encore une fois, dans le cadre de ce qui est permis par les règles du jeu, ici le programme. Il en va de même finalement pour la liberté “réelle” qui serait les coups permis par les règles de l’univers, les lois de la nature, à la différence que le joueur n'aurait d’autres choix que de jouer à ce jeu, et que malgré la présence de panneaux de limitation de vitesse, aucun n’a jamais interdit de dépasser les 300 000 km/s de la lumière. Ainsi la question de la liberté s'articule autour de celle qui viserait à savoir ce qui est permis par les règles du jeu de la réalité.

La liberté est cette faculté de pouvoir agir différemment dans les mêmes circonstances, qui plus est, en complète autodétermination, sans être totalement contraint par des facteurs extérieurs (à l’individu), d’exercer son libre arbitre. Le déterminisme est le fait qu’un système n’est qu’une seule évolution possible et nécessaire, depuis un état initial donné. Le terme de “compatible” pose la question sur la concevabilité de l'existence simultanée de ces deux principes, si la liberté et le déterminisme peuvent coexister sans contradiction. Est-il possible d’exercer son libre arbitre tout en étant partie d’un système qui ne connaîtrait qu’une unique évolution nécessaire ? Il nous arrive sans cesse de faire des choix, de délibérer nos actions, de prendre nos décisions “en notre âme et conscience”, sous entendu, en connaissant les tenants et aboutissants de celles-ci, tout en sachant pertinemment les facteurs qui entrent en jeu. En étant conscients de ces facteurs, ils participent à la délibération, mais ne la constituent pas entièrement.

Mais il est impossible de connaître tous ces facteurs, ceux qui nous sont inconscients sont bien plus nombreux, et nous ne les connaissons souvent qu’a posteriori, une fois la décision prise, si ce n’est jamais. Le libre arbitre semble par définition opposé au déterminisme. Est-il possible de délibérer nos décisions indépendamment d’une nature déterminée ? Nous examinerons le cas d’une liberté transcendante à la nature qui rendrait les deux notions compatibles, nous verrons ensuite que cette liberté peut très bien être immanente à la nature, puis nous étudierons la thèse selon laquelle une nature déterminée ne peut mener à un quelconque libre arbitre au sens strict.

I. La liberté est compatible avec le déterminisme de la nature, car elle y est transcendante

a) La nature peut être déterminée sans déterminer la délibération et la décision humaine

Malgré une nature déterminée, la liberté peut exister en étant transcendante, car le déterminisme ne nie la liberté seulement si est déterminée la même substance à laquelle appartient le système que l’on considère (ici l’esprit humain), comme un point de vue moniste matérialiste par exemple, mais dans la mesure où les sciences de la matière, les sciences physiques, n’expliquent pas tous les phénomènes qui plus est, les phénomènes psychiques, pour un dualiste ou un moniste neutre, qui respectivement distinguent deux substances (souvent un esprit transcendant à la nature), ou distingue la nature et l’esprit comme deux faces d’une même pièce, d’une même substance, cette autre face ou substance n’étant pas déterminés, il doit y avoir une instance responsable des choix qui y sont faits.

Le cogito cartésien isole l’instance qui pense de toute matière ou environnement, et donc de toute loi, et donc le comportement de cette dernière ne peut être déterminé par la nature, mais pense (et par conséquent, prend des décisions) tout de même

b) La conscience de soi comme manifestation du libre arbitre

La distinction entre ce qui relève du réflexe ou de l’instinct et ce qui relève de la réflexion, du retour de la pensée sur elle-même, met en évidence la distinction entre ce qui résulte de la détermination, ces comportements primitifs qui pourraient être incontrôlables, mais qui le sont tout de même par les considérations qu’y porte l’individu, la faculté qu’il a à prendre des décisions basées sur une réflexion approfondie plutôt qu’à l’inclinaison immédiate de son conditionnement.

[transition] Même si le lien n’est pas totalement établi, la distinction entre matière et esprit sous quelconque forme ne résiste pas entièrement à l'examen empirique, qui semble quant à lui exposer de plus en plus de lien entre ces deux choses, telle l’expérience de Benjamin Libet, qui bien que dualiste lui-même, a pu mettre en évidence la présence de signaux électrique, issue de l’activité neuronale, avant la prise de conscience de l’action par l’individu de l’action (lever le doigt).

II. Si la liberté est compatible avec une nature déterminée, elle doit l’être en étant immanente à cette dernière

a) La nature peut n’être que partiellement déterminée

Si la nature n’est que partiellement déterminée, l’environnement ne suffit pas à déterminer la prise de décision de l’individu, et donc laisse de la place pour l’autodétermination de l’individu, ou à fortiori, concorde avec le point de la définition de la liberté qui est la faculté d’agir différemment pour des mêmes conditions initiales (car elles ne suffisent pas à déterminer l’instant t + 1).

Le principe d’incertitude énoncé par Heisenberg en 1927 fait part d’une indétermination fondamentale à la matière, non pas d’une absence de prédiction comme pourrait l’être un lancé de pièce, pas nécessairement prédictible en fonction de ce que l’on sait de la situation, et cependant déterminée (si l’on connaît tout de l’état à un instant t), mais d’une indétermination qu’aucun paramètre ne pourrait palier.

b) Des libertés peuvent être compatibles avec une matière déterminée comme faculté émergente

Bien que la nature soit déterminée, d’un système complexe (possible depuis des objets simples dotés d’une faculté d’ordre, comme une simple sélection naturelle des arrangements stables au cours du temps) peut émerger d’un système n’ayant pas ces propriétés au départ. De la toile de fond déterminée, il peut émerger cette faculté de décision par la conscience humaine par exemple, sans pour autant être transcendent.

C’est ce que défend Hans Jonas dans son essai Matière, esprit et création, où il invoque cette intériorité apparue tardivement à l’échelle de l’univers, à qui il incombe trois libertés : sur la thématique abordée, l’esprit peut s’émanciper de la situation déterminée par l’extérieur dans le contenu de sa pensée, une liberté de transformation ou création, celle de dépasser les faits apparents, et celle de transgression, de comparer des idées voisines.

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Objection 1) Cependant, qu’une nature soit indéterminée, n’implique pas un libre arbitre, si l’on reconsidère la définition de liberté, elle indique une autodétermination, or, dans un cadre indéterminé, si l’on considère les processus de décisions dépendant de la nature, cela signifierait que le hasard est responsable des décisions prises par l’individu, et donc elles ne dépendent pas de l’individu lui-même, comme jouer une partie d’échecs de façon aléatoire, on ne donnerait pas au “joueur” qui joue aléatoirement un libre arbitre sur ses coups. La liberté n’est donc pas compatible avec un univers indéterminé.
Objection 2) L'émergence de cette capacité, de cette liberté, pourrait très bien ne pas être. Du système complexe, définit par des lois déterministes, peut tout autant apparaître une illusion d’intériorité, si de ces lois nous pouvons “prédire”, si ces lois déterminent qu’il y aura des individus qui se sentent libres, et qu’il y aura des discussions autour de ce concept, la liberté n'intervenant aucunement dans la génération des jugements qui portent sur elle, il n’est pas nécessaire de présumer l’existence de cette chose.

III. La liberté ne peut par définition pas être compatible avec le déterminisme

Une liberté immanente à une nature déterminée ne pouvant être compatible avec cette dernière, la liberté ne peut par définition pas être compatible avec le déterminisme.

a) Considérer un libre arbitre comme partie d’un univers déterminé serait contraire aux lois de la nature

D’une nature déterminée, ne peut aboutir une liberté, donc considérer un libre arbitre comme partie d’un univers déterminé serait donc contraire aux lois de la nature.

La liberté ne pouvant être transcendante, et les lois de la nature définissant le possible, cela serait attribuer un super pouvoir à l’esprit que de lui accorder un libre arbitre, ce qui relève davantage de l’anthropocentrisme que d’une démarche rationnelle.

Spinoza, en réfutant un libre arbitre au sens strict, disait que l’homme serait “un empire dans un empire” s’il y avait un quelconque libre arbitre, sous-entendu, il obéirait pas aux mêmes règles / lois que le reste de l’univers, et l’homme étant un être naturel, cet énoncé est contradictoire.

b) Penser un libre arbitre possible ne résulterait que de notre ignorance aux lois de la nature

Encore une fois, dans le cadre d’un déterminisme absolu, tout étant nécessaire, penser un libre arbitre possible ne résulterait que de notre ignorance ou imprécisions quant aux évènements passés et aux lois de la nature. Chaque prise de décision est en réalité “décidée” en amont, depuis les premiers instants de l’univers, sans que rien ne puisse en changer. L’esprit humain n’intervient en aucun cas dans le cours des événements et n’est lui-même que conséquence de cet état initial.

Cette idée est exposée dans “Matrix reloaded” quand le personnage principal rencontre l’Oracle, une femme qui peut voir dans le futur, et qui lui demande s’il veut un bonbon. À cette question, il demande à quoi sert cette question si elle connaît déjà la réponse et qu’il n’est donc pas libre de prendre cette décision, et l’Oracle lui explique qu’il n’est pas la pour prendre ses décisions, qu’il l’a déjà prise, et qu’il n’est là que pour comprendre pourquoi il a pris cette décision, pour en subir les conséquences.

Conclusion

La liberté peut donc se considérer, avec la transcendance, comme étant extérieure au déterminisme de la nature, en ce sens que l'on pourrait penser séparément la matière et l'esprit, et que dès lors on pourrait isoler notre réflexion et nos décisions de la nature. Mais même en partant du principe de l'immanence, on pourrait imaginer la liberté compatible avec le déterminisme, dès lors que celui-ci n'est ni entier, car incertain, ou par la faculté émergente de la pensée, et par son pouvoir de création.

Mais cela est oublier que la pensée fait partie d'un monde déterminé, et que l'ignorance des liens de causes à effet, ou que notre capacité à les ignorer de par notre imagination, ne doit pas masquer le fait que notre liberté revient plutôt à accepter de comprendre ou non ces liens, plutôt qu'à vouloir ou non s'en extraire.