La liberté d’expression doit-elle être limitée ?

Dissertation entièrement rédigée, en trois parties.

Dernière mise à jour : 11/04/2022 • Proposé par: Ensoleillé (élève)

« Les Hommes naissent libres et demeurent égaux en droit. ». Cet article est le premier article de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. C’est l’un des principes les plus importants au sein de notre société, car, il est le résultat de nombreux et longs combats historiques comme la Révolution Française de 1789. C’est d’ailleurs à partir de cet article fondamental qu’on peut se demander ce qu’est la liberté ou encore quelles sont les différents types de libertés. Aujourd’hui, il y a plusieurs types de libertés fondamentales, mais celle à laquelle nous allons nous intéresser, c’est la liberté d’expression qui comprend notamment la liberté de communication, la liberté d’opinion… La liberté d’expression est le droit fondamental pour toute personne de penser comme elle le souhaite et de pouvoir exprimer ses opinions par tous les moyens qu’elle juge opportun.

D’après l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), « Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ». Cette liberté n’est pas appliquée de la même manière partout dans le monde. Elle dépend de la culture, des régimes politiques, des traditions et de la législation dans chaque pays. Même entre pays dits "libres", l'application de la liberté d'expression n'est pas la même, et elle fait ainsi l'objet de débats sur ces contours. Pourquoi dès lors la liberté d’expression devrait-elle être limitée ? Quelles limites peut-on trouver à la liberté d'expression ? Comment distinguer un bon usage d'un mauvais usage de la liberté d'expression ? Pour répondre à ces questions, nous verrons tout d’abord en quoi la liberté d’expression est gage de démocratie, puis les raisons pour lesquelles une liberté d’expression illimitée met en danger dans certains de ses usages. Enfin, nous examinerons sur quoi doivent se fonder des limites à la liberté d'expression.

I. Une liberté d'expression sans limites consacre ce droit fondamental

Tout d’abord, on peut penser que la liberté d’expression doit être maximale et que toute forme d’encadrement de cette liberté serait antidémocratique.

En effet, la liberté d’expression est une garantie qui permet d’exercer toutes les autres libertés. Robert Badinter dans un article du Monde en mars 2015, a écrit : « la liberté d'expression conditionne l'exercice de tous les autres droits ». Cette liberté donne par exemple, la liberté de critiquer les religions et les lois, de manifester, de dessiner des caricatures, mais surtout de faire valoir ses droits. Sans liberté d’expression, aucune liberté ou droit ne peut être exercé. C’est pourquoi, la loi doit garantir cette liberté et non la limiter. Limiter la liberté d’expression est antidémocratique, car sans liberté d'expression, il ne serait pas possible de dénoncer les abus de pouvoir. Le philosophe néerlandais Spinoza dans son Traité Théologico-Politique écrit ainsi en 1670, « on montre que, dans une libre République, il est permis à chacun de penser ce qu’il veut et de dire ce qu’il pense ». Les pays qui limitent le plus la liberté d'expression sont des régimes autoritaires, voire même dictatoriaux. Ces pays, comme la Corée du Nord ou la Chine, font un usage intensif de la surveillance, de la censure et de la répression. Or, tout individu devrait pouvoir disposer du droit de penser librement, de s’exprimer ou de critiquer comme il le souhaite sans être inquiété pour ses opinions. Une atteinte à ces libertés remettrait en cause l'équilibre de la société démocratique. Il apparaît clairement qu’il ne peut pas y avoir de démocratie sans liberté d’expression. Ce principe a d’ailleurs été rappelé par Victor Hugo dans son discours à l’Assemblée Nationale le 11 septembre 1848. « Le principe de la liberté de la presse n'est pas moins essentiel, n'est pas moins sacré que le principe du suffrage universel. Ce sont les deux côtés du même fait. Ces deux principes s'appellent et se complètent réciproquement. La liberté de la presse à côté du suffrage universel, c'est la pensée de tous éclairant le gouvernement de tous. Attenter à l'une c’est attenter à l'autre »

Par ailleurs, limiter la liberté d’expression peut s’avérer dangereux. En effet, si on limite cette liberté, on limite aussi, à travers la censure, certaines ressources culturelles qui nourrissent l’esprit d’idées ou d’opinions. En augmentant la censure, on appauvrit, en quelque sorte, la pensée de chacun. En outre, limiter la liberté d’expression, nous empêche de lutter contre les dérives de la pensée dominante, de débattre, et conduit à étouffer la contestation. Quand on limite cette liberté, on ne peut plus s’arrêter. En effet, si un État, une loi ou un groupe décide que certains propos sont intolérables, le risque est que, de plus en plus de propos soient interdits. On constate d’ailleurs cette pratique aujourd'hui. Des lois qui servaient à l'origine à sanctionner un petit nombre d'extrémistes ont permis d’engager des procès contre des personnalités très diverses (comme Daniel Mermet, par exemple, qui a été poursuivi en 2001 pour avoir diffusé des propos d’auditeurs sur le conflit israélo-palestinien et qui a été relaxé en 2006). Ironie du sort : même ceux qui militent en faveur de la liberté d'expression peuvent se retrouver visés par des procès pour atteinte à la liberté d’expression. Par exemple, Charlie Hebdo, un célèbre journal hebdomadaire satirique français fondé en 1970, a été poursuivi pour ses caricatures alors que ses fondateurs ont eux-mêmes proposé l’interdiction du Front National.

Enfin, toute forme d’encadrement de la liberté d’expression se révèle en réalité inefficace. En effet, on ne peut pas empêcher les citoyens de penser ce qu’ils veulent. On peut tenter de les empêcher de communiquer, mais aujourd’hui, Internet ruine toute tentative de censure. Actuellement, n’importe quel citoyen connecté peut émettre et recevoir des informations diffusées dans le monde entier. Articles, images, vidéos, messages, tout contenu circule sans censure à travers les réseaux sociaux, les blogs ou les forums. Même dans les régimes dictatoriaux où l’utilisation d’internet est censurée, on ne peut pas bloquer la diffusion d’une opinion, car elle se retrouve toujours ailleurs. On ne peut pas empêcher les citoyens de se réunir notamment dans un cadre privé pour débattre. On ne peut donc pas complètement contrôler la diffusion des idées. De toute façon, cela est-il vraiment nécessaire ? Les individus ne sont-ils pas doués de raison et capables de s’autocensurer ? D’après Robespierre, « L’opinion publique, voilà le seul juge compétent des opinions privées, le seul censeur légitime des écrits. Si elle les approuve, de quel droit, vous, hommes en place, pouvez-vous les condamner ? Si elle les condamne, quelle nécessité pour vous de les poursuivre ? Si, après les avoir improuvés, elle doit, éclairée par le temps et par la réflexion, adopter tôt ou tard, pourquoi vous opposez-vous aux progrès des lumières ? Comment osez-vous arrêter ce commerce de la pensée, que chaque homme a le droit d’entretenir avec tous les esprits, avec le genre humain tout entier ? L’empire de l’opinion publique sur les opinions particulières est doux, salutaire, naturel, irrésistible ; celui de l’autorité et de la force est nécessairement tyrannique, odieux, absurde, monstrueux » (Œuvres de Robespierre/Sur la liberté de la presse). Ainsi, interdire des opinions, c'est considérer les citoyens comme des enfants qui ne peuvent pas juger par eux-mêmes. C'est tout l'inverse du projet d'émancipation des Lumières, qui voulait libérer les Hommes de la tutelle de l’Église et des Rois. Si chacun fait preuve de tolérance, l’opinion publique s’autorégulera et il n’y aura plus besoin de censure ou de limiter la liberté d’expression. Nous pourrons donc être libres de nous exprimer.

Ainsi, nous pouvons constater qu'une liberté d’expression illimitée permet d'éviter toute censure et un échange d'idées sans entraves. Mais n’y a-t-il pas aussi des arguments en faveur de la limitation de cette liberté fondamentale ? En effet, la liberté d'expression ne peut-elle pas poser problème lorsqu'elle vient s'opposer à d'autres droits fondamentaux ?

II. Mais une liberté d'expression illimitée met en danger autrui dans ses usages extrêmes

En effet, limiter la liberté d’expression est indispensable pour lutter contre la propagation des incitations à la violence et à la haine.Sans limite, la liberté d’expression risque de permettre à certains de propager des idées violentes. Ainsi, à titre d’exemple, pour lutter contre le racisme, le négationnisme ou encore le terrorisme (qui ne sont pas des opinions, mais des délits ou des crimes), il semble indispensable d’encadrer la liberté d’expression. Si les réseaux sociaux ne sont pas régulés, on peut craindre que certains les utilisent à grande échelle pour appeler à commettre des crimes. Par exemple, l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020 aurait peut-être pu être évité si certains n’avaient pas appelé à le tuer sur les réseaux sociaux. En outre, il est nécessaire de réglementer la liberté d’expression sur les réseaux sociaux pour limiter les phénomènes de harcèlement qui peuvent mener certains au suicide. En effet, l'anonymat parfois autorisé sur les réseaux sociaux encourage certains à tenir des propos haineux, injurieux, racistes, homophobes, sexistes sans être inquiétés. On peut prendre l’exemple d’une jeune fille de 16 ans appelée Sarah qui a été victime de cyberharcèlement qu’elle a raconté sur Europe 1 en août 2019. Elle raconte le calvaire qu'elle a vécu pendant toute sa scolarité en raison de cyberharcèlement. Il faut donc lutter contre cette pratique et limiter la liberté d’expression semble la meilleure option.

Par ailleurs, limiter la liberté d’expression est également indispensable pour lutter contre les contenus choquants dont il faut notamment préserver les mineurs pour ne pas les traumatiser. Il est nécessaire d’encadrer la liberté d’expression pour, par exemple, limiter l’accès à l’ultra violence, la pornographie, la pédophilie ou pour lutter contre les contenus portant atteinte à la dignité humaine. Il faut permettre aux personnes de s’exprimer librement tout en garantissant le respect et la sécurité de chaque individu. La célèbre citation illustrant bien ce principe, parfois attribuée à John Stuart Mill : « la liberté des uns commence là où s'arrête celle des autres ». On comprend bien qu’en tant que citoyen, on peut profiter de notre liberté, notamment de notre liberté d’expression et l’exercer, sous réserve qu’elle ne porte pas atteinte à celle des autres.

Enfin, la liberté d’expression doit également être limitée pour garantir notamment le secret défense en vue de protéger l’Etat et les individus. L'Etat doit pouvoir encadrer la liberté d'expression et la liberté de la presse afin que ne soient pas divulguées des informations qui pourraient mettre en danger la sécurité de l'Etat ou des citoyens. Par exemple, pendant une guerre, le secret défense permet d’empêcher la divulgation d'informations qui pourraient informer et aider l'ennemi. Par ailleurs, il est également nécessaire de fixer des limites à la liberté d’expression pour protéger les entreprises et pour faire respecter les droits de propriété intellectuelle, industrielle et littéraire. En effet, sans lois sur les droits d’auteurs, la vie des auteurs, des artistes, des scénaristes, des musiciens, des réalisateurs… serait extrêmement compliquée, car tout individu pourrait exploiter gratuitement leurs œuvres, voire s’approprier le mérite de certains artistes. C’est également la même idée pour les brevets : si la liberté d’expression n’était pas encadrée par les règles de propriété industrielle, certaines personnes pourraient voler les projets ou les idées de créateurs ou d’inventeurs, ce qui pourrait mettre en péril l’activité économique de certains indépendants ou de certaines entreprises. Il est également intéressant de noter que certaines professions sont soumises à des règles de confidentialité venant limiter leur liberté d’expression : secret médical des médecins afin de protéger leurs patients, secret professionnel des avocats pour garantir la défense de leurs clients... C’est pourquoi, dans de très nombreux domaines de la vie politique et professionnelle, l’encadrement de la liberté d’expression semble nécessaire aujourd’hui.

Ainsi, une liberté d’expression illimitée pose le problème de la remise en cause d'autres droits, comme la sécurité, la protection de l'enfance ou encore la protection du secret médical ou des affaires. Autoriser toute expression revient à autoriser la mise en danger d'autrui.

III. Toute limite à la liberté d'expression doit se fonder sur une légitimité démocratique

La violence existante dans nos sociétés exige que nous limitions la liberté d'expression : si nous étions dans un monde sans violence, dans un monde où tous les individus seraient réellement libres, égaux, fraternels, mais aussi tolérants, bienveillants et sages ; un monde complètement utopique où tout le monde serait en paix, alors, la liberté d’expression aurait-elle besoin d’être limitée ? Assurément, on peut penser qu’elle n’aurait pas besoin d’être limitée puisque dans ce monde, il n’y aurait pas de violence. Dans notre monde, il y aura toujours des gens violents, immoraux, traîtres, etc. On est donc dans l’obligation d’encadrer la liberté d’expression un minimum pour contrer ce type de personne qui répand la haine. Toute limite de la liberté d'expression doit ainsi avoir pour but de protéger contre ses violences, en nommant les victimes et en montrant le lien de causalité direct entre l'expression et le tort subi. Sans cette contrainte de causalité et de tort avéré, limiter la liberté d'expression serait trop simple pour se protéger de toute enquête journalistique ou toute attaque personnelle sans conséquence réelle.

Mais il faut dans un même temps veillé que ce tort ne concerne que les personnes les plus faibles, qui ne peuvent se protéger elles-mêmes contre les accusations publiques ou le harcèlement. Autrement, sans cette prise en compte du pouvoir, on pourrait retourner contre des "alerteurs" ou scientifiques l'argument de la liberté d'expression, alors que ces personnes tentent par leur prise de parole d'éclairer leurs semblables. Si l'on prend l'exemple de Socrate ou Galilée, ils ont chacun été victimes de leurs idées. En effet, Socrate est mort pour avoir fait usage de la raison à l’encontre des croyances grecques, et Galilée a été emprisonné pour avoir émis des hypothèses scientifiques non approuvées par la majorité des scientifiques de l’époque. Mais ils s'opposaient ici à des puissances plus fortes qu'eux: une assemblée d'élus pour Socrate, l’Église pour Galilée, alors qu'eux étaient seuls pour se défendre et pour défendre un bien commun: la vérité philosophique ou scientifique. La liberté d'expression doit donc pouvoir protéger les plus faibles, et ce dans le but de défendre la communauté dans son ensemble.

La liberté d'expression ne doit pas être non plus utilisé comme d'un bouclier en cas d'autres manquement à la loi. En France, selon l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui est repris dans le préambule de la Constitution de 1958 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ». Chacun peut penser et s’exprimer comme il le souhaite, mais est ainsi susceptible d’être poursuivi en justice en cas d’abus. On peut ainsi penser à des attaques entre deux entreprises, qui dénigreraient chacune leurs concurrents en mentant sur les qualités de leurs produits. Se réfugier derrière la liberté d'expression serait alors un bon moyen de se couvrir et d'éviter d'être poursuivi. Ainsi la raison de l'usage de la liberté d'expression a son importance: elle doit se faire pour le bien commun (informer, éclairer, diffuser le savoir), mais pas contre pour son propre avantage, au détriment d'une autre personne.

Conclusion

Pour conclure, il apparaît clairement que répondre à la problématique « la liberté d’expression doit-elle être limitée ?» ne peut avoir une réponse simple et définitive. En effet, la liberté d'expression est essentielle, car elle conditionne l’exercice de toutes les autres libertés et constitue un principe fondamental de tout régime démocratique. Mais cette liberté doit également être encadrée pour éviter de nuire ou mettre en danger. C’est pourquoi il est nécessaire de trouver un équilibre qui permette de garantir le respect de la liberté d’expression, tout en assurant la sécurité et le respect des droits de tous les citoyens.

Pour trouver cet équilibre, il faut se pencher sur les droits démocratiques, qui viennent protéger le plus grand nombre contre des pouvoirs trop puissants. Il n'est pas étonnant d'avoir en Chine, avec un régime unique et dictatorial, une censure permanente où certains citoyens disparaissent parfois plusieurs mois, juste en raison des propos qu’ils ont pu tenir, notamment contre ce pouvoir en place. La liberté d'expression est ainsi étroitement liée aux principes démocratiques, où les droits des citoyens sont égaux devant la loi. La liberté d'expression doit dès lors garantir cette égalité, en protégeant les victimes d'un usage déraisonnable de l'expression, c'est-à-dire causant un tort irrémédiable, contre les bourreaux, en protégeant le plus faible contre le plus fort, en protégeant la vérité contre la calomnie pure, en protégeant enfin un usage au service du bien commun contre un usage fait à son propre intérêt. La liberté d'expression est une arme, qu'il s'agit de donner à la bonne personne pour la bonne cause.