Victor Hugo a publié en 1856 Les Contemplations, recueil de poèmes organisé en deux grandes parties, Autrefois et Aujourd’hui. Vieille Chanson du jeune temps, daté de 1831, est extrait du livre premier d’Autrefois, appelé Aurore, qui est le livre de la jeunesse dans lequel Victor Hugo évoque ses souvenirs de collège et ses premiers émois amoureux.
Ce poème, écrit en vers, raconte sur un ton lyrique et élégiaque, une promenade de Victor Hugo, alors âgé de 16 ans, avec une jeune femme de 20 ans, dans une nature vivante et verdoyante. A travers ce poème, Victor Hugo traite d’un thème universel, celui de l’éveil à l’amour et utilise tous les ressorts du romantisme : le culte du sentiment amoureux, le culte de la nature et le « moi » comme source d’inspiration.
Dans un premier temps, nous envisagerons le lyrisme amoureux et sensuel à travers l’idéalisation de la femme et de la nature qui mène à une communion entre elles, puis nous verrons que l’évocation de ce souvenir crée chez le poète un regret qui résulte de sa propre contemplation.
I. Le lyrisme amoureux et sensuel
a) L’idéalisation de la femme
Rose est élégante (« droite sur ses hanches ») ; elle est belle (« son bras blanc » fait référence aux canons de beauté de l’époque où la peau devait être la plus blanche possible) ; elle est délicate (« son petit pied »). Elle agit avec beaucoup de sensualité et d’émotions, entre assurance et hésitation (« leva son bras tremblant », « d’un air ingénu »), entre sourires et soupirs (« la voyant parfois sourire et soupirer quelquefois »). Elle parle avec les yeux (« son œil semblait dire "Après ?" »). Tout est évoqué, rien n’est dit.
b) Le culte de la nature
La nature est riche (« des fleurs, des arbres », « la rosée », « le taillis, ses parasols », « les rossignols », « les merles », « une mûre aux branches », « une eau pure »). Elle est pure, elle est douce. Elle est personnifiée (« la nature amoureuse ») et semble intervenir aux côtés de Rose (« Une eau courait », « la nature amoureuse dormait »). La nature est généreuse (« la rosée offrait ses perles ») et sensuelle (« sur les mousses de velours »).
c) Une communion entre la femme et la nature
Rose et la nature semblent n’être qu’une seule et même personne. La jeune femme porte le nom d’une fleur. Elle est décrite physiquement mais n’agit que peu. En revanche, la nature intervient dans le déroulé de cette histoire comme une main tendue à Rose pour susciter l’émoi de Victor Hugo ; la nature devient la complice de Rose et se moque de Victor Hugo qui est insensible aux charmes de la jeune femme (« Les rossignols chantaient Rose Et les merles me sifflaient »). C’est la nature qui rend Rose sensuel (« sur les mousses de velours ») ; le lyrisme amoureux se mêle au lyrisme de la nature sans qu’ils soient un.
Mais cette sensualité implicite ne fait pas d’effet sur Victor Hugo qui reste sourd et aveugle aux « propositions » de la jeune femme. D’ailleurs deux sens sont évoqués; celui de la vue est toujours accompagné d’une négation (« je ne vis pas son bras blanc », « je ne vis pas son pied nu ») et celui de l’ouïe est associé aux merles qui le sifflent (« j’écoutais les merles »).
II. Le moi comme source d’inspiration et de regret
a) Une écriture autobiographique qui permet une identification du lecteur
Le poème est écrit de façon autobiographique. Le point de vue est celui de Victor Hugo. Le pronom « je » ouvre et ferme le poème ; tout est centré sur l’auteur, à tel point que Rose, qui est plus âgée que le narrateur, l’a suivi (« Rose vint au bois avec moi »).
Le pronom « nous » est utilisé une seule fois au début du poème (« nous parlions de quelque chose ») mais il ne qualifie pas un couple.
L’utilisation du chiasme en début de poème centre tout sur le narrateur.
b) Une écriture rétrospective qui met en exergue les premiers émois de l’amour
L’imparfait allonge la durée de ce poème assez court. Il est utilisé pour décrire la nature (« la rosée offrait », « les rossignols chantaient », « les merles me sifflaient », « une eau courait », « la nature amoureuse dormait ») ou pour décrire les actions du narrateur (« je ne songeais pas », « j’étais froid comme les marbres », « je marchais », « je parlais », « j’allais », « j’écoutais », « je ne savais », « je la suivais »). En revanche, le passé simple est utilisé quand Rose agit (« leva son beau bras tremblant », « Rose défit sa chaussure, et mit, d’un air ingénu ») et quand Victor Hugo ne réagit pas (« je ne vis pas son bras blanc », « je ne vis pas son pied nu »).
Il s’agit donc bien d’un souvenir dont le cadre est assez flou mais dont la durée a été courte bien qu’imprécise (« parfois », « quelquefois »). Le poète se souvient des gestes de Rose avec précision même si ces gestes ont été furtifs.
c) Le regret
La répétition du prénom Rose donne le sentiment que l’auteur a besoin de se convaincre de l’existence de cette femme ; il a besoin de se convaincre qu’il n’a pas rêvé ; il plane sur l’évocation de cette femme une sorte de halo (« son bras blanc »). Le prénom Rose est écrit cinq fois. D’autre part, alors que c’est le verbe « songer » qui est utilisé en début de poème, c’est le verbe « penser » qui le clôt. Le poète est donc certain de ce souvenir, même si les détails restent flous ; il a fait un travail de mémoire. Cela est confirmé par le fait que la première et la dernière phrase sont opposées (« je ne songeais pas à Rose », « Depuis, j’y pense toujours ») et par l’opposition dans le titre entre « vieille » et « jeune ».
Enfin l’utilisation de l’imparfait crée une sorte de trouble, une interprétation ; s’il avait compris les allusions de la jeune femme, la suite aurait été différente (« son œil semblait dire : "Après ?" »).
Conclusion
Idéalisation de la femme et de la nature, regret de n’avoir répondu aux premiers appels de l’amour, contemplation excessive de son être, tout dans ce poème relève du romantisme, dont Victor Hugo fut le chef de file au XIXe siècle. Il serait intéressant maintenant de lire le poème qu’aurait écrit Rose en se souvenant de cette balade qu’elle voulait romantique.