Introduction
Tocqueville cherche à penser la politique de manière très concrète, en étant attentif aux jeux des passions humaines, et à leurs influences sociales et politiques. Ce texte en est une illustration. Tocqueville s'interroge sur l'intérêt que nous pouvons éprouver, comme individu lié nécessairement à son égoïsme et ses intérêts particuliers, pour la gouvernance d'un pays, le ''bien public'' qui nous paraît d'abord abstrait ou lointain. Tocqueville va montrer l'importance des ''libertés locales'', de la politique concrète, à petite échelle, dans l'acquisition de la responsabilité citoyenne.
On peut découper le texte en trois parties:
- Première partie : 1-7
- Deuxième partie : 8-14
- Troisième partie : 15-27
Il est aussi possible de considérer les deux premières comme une première partie (1-14) suivie d'une deuxième (15-27)
I. La politique abstraite et la politique concrète
a) Tocqueville montre que le haut degré de généralité des décisions collectives n'est pas propice à l'attention des citoyens. Ces affaires ''n'occupent que les principaux citoyens'' (les hommes politiques). De surcroît, ces principaux citoyens n'ont pas même, entre eux, une vie collective très marquée parce qu'ils ne se rencontrent que de temps à autres, ''se perdent de vue''. (1-4)
b) Tocqueville oppose à cela la politique concrète et locale (les ''affaires particulières'' d'un canton) où chacun reste en contact avec les autres. Une unité collective plus grande s'ensuit. Les rapports sont nécessairement personnalisés, et il y a nécessité d'une entente (''forcés de se connaître et de se complaire.") (4-7)
II. L'individu et son attention politique
a) Généralisons : il y a une difficulté naturelle à la politique et à la démocratie. Chacun saisit mal ce que cette apparente abstraction, l'Etat, aura comme ''influence'' sur le cours de sa vie. Un individu n'est donc pas naturellement citoyen. (8-11)
b) L'individu ne perçoit le rapport entre son existence concrète et la politique qu'à partir du moment où son intérêt particulier (propre à lui) est mis en rapport avec la question de l'intérêt général (l'intérêt de tous). Il faut que ce rapport soit concret. Par exemple que sa propriété privée devienne une question (le ''chemin'' public qu'on construirait au bout de son ''domaine'' privé.) (10-14)
III. Les principes d'une bonne politique citoyenne
a) On doit tirer de ce constat des principes en vue de parvenir à un peuple vraiment citoyen. Il y a là comme une éducation du peuple, qui consistera à ne jamais détacher la politique des affaires les plus concrètes. On chargera donc "les citoyens de l'administration des petites affaires.'' Ce qui leur permettra de comprendre la solidarité. (15-18)
b) L'erreur consisterait à croire qu'un coup d'éclat général suffit à lier les citoyens entre eux, et à comprendre l'importance de la politique. Ce ne serait que momentané. Tandis qu'il faut créer une habitude, un climat intellectuel et affectif chez chaque individu de la communauté. Ceci est en même temps et surtout un principe pour les hauts gouvernants en vue de gagner ''l'amour et le respect de la population" (19-23).
c) En conclusion, s'il y a un instinct naturel qui met en péril l'unité d'une société et l'importance de la politique, la sagesse politique consistera à le vaincre en unissant les hommes localement. (24-27)
Conclusion
On peut en conclusion (ou mieux encore dans une nouvelle partie) montrer le rapport entre ce texte de Tocqueville et les problèmes de notre démocratie (taux d'abstention aux élections, par exemple). On montrera ainsi l'intérêt de sa démarche, concrète et même pragmatique. Toutefois, on s'interrogera sur les premières lignes du texte. Celles-ci semblent négliger, dans une société comme la nôtre, plus développée que celle décrite par Tocqueville, l'importance de la ''bulle médiatico-politique''.
Par ailleurs, on peut établir un parallèle avec la conception de Rousseau dans le Contrat social. D'une part, il est certain que Tocqueville reprend les concepts fondamentaux de Rousseau : la distinction entre "intérêt particulier'' et ''intérêt général'' (ligne 14). De même Rousseau avait d'ores et déjà analysé le conflit entre l'intérêt particulier et l'intérêt général, et il avait lui aussi montré les ressorts psychologiques de ce conflit : l'abstraction étatique ajoutée au prix que l'on accorde au contraire à sa personne (Contrat Social, L I, ch VII, paragraphe 7).
Il demeure une grande différence entre Rousseau et Tocqueville. Rousseau pense que le pouvoir central doit émaner directement du peuple, de la ''volonté générale'', et qu'il peut y avoir par le ''pacte social'' une compréhension par chacun de l'importance de son rôle. Il ne saurait se contenter, pour le peuple, des "libertés locales" et des "affaires particulières d'un canton". C'est que Rousseau décrit les principes d'une démocratie idéale et absolument directe (sans représentant, comme les députés, le peuple faisant directement les lois) tandis que l'approche de Tocqueville est plus psychologique, sociale, et concrète.