Peut-on se libérer de sa culture ?
Avertissement : il ne s’agit ici que de pistes de réflexion et non d’une copie type nécessairement attendue par vos correcteurs. D’autres approches, d’autres thèses et arguments sont possibles.
Introduction / Problématisation
Le présupposé immédiat du sujet est que nous serions en quelque sorte « prisonniers » de notre culture. Si la question est posée de savoir si nous pouvons nous en libérer, c’est que nous ne sommes pas spontanément détachés de notre culture. Reste à préciser de quelle culture nous parlons. Si l’environnement économique, social, historique fait que les individus sont en effet inévitablement inscrits dans une culture (nous ne vivons pas à l'état de nature, qui n'est qu’hypothétique), l’expression « sa culture » laisse entendre qu’il y aurait une culture propre aux individus. La culture désigne l’ensemble des productions et des valeurs caractéristiques d’un groupe. Or, au sein de la société, l’individu appartient à plusieurs groupes : socio-professionnel, ethnique, religieux, etc... Comment, alors, identifier ce qui fait « la » culture d’un individu? À quelles conditions un individu peut-il se révéler capable de rompre avec l'environnement dans lequel il s'est développé et construit ? Si l'individu s'affranchit de sa culture, où son identité se situera-t-elle ?
Partie I.
En théorie, la liberté des individus leur permet de s'affranchir de leur culture.
On peut dans cette première partie traiter la question de la liberté propre aux individus, qui leur permet de se construire au fur et à mesure de leur histoire. En effet, la culture est inscrite dans le temps. C'est ce que, dans l'histoire ou au cours de notre existence, nous allons acquérir ou développer comme déterminations qui nous écartent de la nature et de notre nature. L'éducation, au sens large, est donc ce qui forge la culture d'un individu. Qu'il s'agisse de la culture littéraire, ou de la culture religieuse, par exemple, c'est par l'éducation qu'elle est transmise. La question qui nous est posée est donc celle du rapport que nous entretenons avec notre inscription présente au sein d'un groupe porteur de caractéristiques culturelles spécifiques, mais aussi de notre rapport au passé que nous portons. Or l'identité d'un individu n'est pas figée. On peut penser à l'existentialisme de Sartre dans L'existentialisme est un humanisme. Selon lui, « l'existence précède l'essence », ce qui signifie que nous nous définissons et redéfinissons au fur et à mesure de notre histoire et de nos actions. On peut également penser à la conception kantienne d'une humanité dont la définition repose sur une nature humaine universelle, portée par chacun de nous et prépondérante dans ce que nous sommes comme le montre Kant dans les Fondements de la métaphysique des mœurs, par exemple. En théorie donc, rien n'empêche les hommes de rompre avec ce qui a pu les constituer. La raison, la nature de l'homme qui n'est pas une simple chose, sa capacité à construire des projets, lui fournissent la capacité à se déterminer par soi-même, à accéder à la liberté définie comme autonomie.
Transition. Mais cette liberté n'est-elle pas illusoire ? Dans l'ignorance des causes qui nous déterminent, comment être autre chose que ce que nous avons appris à être ?
Partie II.
En pratique, l'individu ne peut faire abstraction de ce qui l'entoure.
On peut dans cette partie pointer les éléments qui rendent difficiles toute libération par rapport à sa culture. En effet, si en théorie nous avons toujours le choix, en pratique les choses paraissent plus compliquées. Se libérer de sa culture, cela ne reviendrait-il pas pour l'individu à se transformer en pur être de raison ? La culture est partie intégrante de l'identité de l'individu qui n'est pas qu'un être humain général et abstrait ni, non plus, un individu isolé. L'appartenance à des groupes est également constitutive de son humanité. Nous sommes incarnés et inscrits dans une certaine réalité. On peut bien sûr imaginer qu'un individu ne reproduise pas mécaniquement ce qu'il a été ou appris. Élevé dans la foi, un individu peut ainsi être athée. Mais l'éducation et la culture religieuses reçues resteront constitutives de ce qu'il est. La liberté totale que nous avons évoquée peut ainsi être pensée comme une illusion. Spinoza ou Marx le montrent. Au contraire, l'appartenance à une culture peut être considérée comme indissociable de ce que nous sommes. C'est ce que montrent certains penseurs multiculturalistes contemporains, comme Kymlicka ou Taylor. Parlant de « contexte de choix » notamment, ils expliquent ainsi comment on ne peut pas penser le contrat social sans intégrer les déterminations culturelles essentielles à la reconnaissance pleine des individus. À travers l'habitus de Pierre Bourdieu, on pourrait en outre montrer en quoi on ne saurait se départir du marquage au corps que la culture dans laquelle nous avons grandi implique.
Transition. Pourtant nous connaissons quelques exemples d'individus qui ont pu ou su sortir de leur culture d'origine pour en intégrer une autre. À quoi cela tient-il ? Comment est-ce possible ? Ces exemples vont-ils au-delà de simples exceptions ?
Partie III.
Il est ponctuellement possible de sortir de sa culture.
On peut dans cette partie partir de quelques cas particuliers pour interroger leurs conditions de possibilités. Les individus ne font pas que reproduire à l'identique ce qu'ils ont reçu. À quelles conditions peuvent-ils donc s'en libérer? La formulation suppose que les individus seraient les auteurs de leur libération (« se » libérer). Or, les déterminismes sociaux et culturels impliquent que les individus seuls ne peuvent pas purement et simplement décider de rompre avec ce qu'ils ont été et appris à être. Dès lors, on peut nuancer en indiquant que ce qui rend les individus aptes à sortir de leur culture n'est pas un acte volontaire, conscient et réfléchi de leur part. Il ne suffit pas de décider de ne plus être soi pour devenir quelqu'un d'autre. Dans Voyage de classes le sociologue Nicolas Jounin montre ainsi la difficulté de ses étudiants à se départir de leurs caractéristiques sociales et culturelles pour intégrer un environnement qui n'est pas le leur. En revanche, à la faveur d'un hasard, d'une rencontre, d'un évènement, l'individu peut avoir la possibilité de prendre une autre voie. C'est ce qu'étudie notamment la philosophe contemporaine Chantal Jacquet dans les Transclasses, où elle s'interroge sur le parcours des personnages (la romancière Annie Ernaux, par exemple) qui parviennent à s'élever au-dessus de leur condition sociale d'origine. Elle en conclut que cela ne tient pas à une volonté consciente ou particulière de l'individu mais au hasard de sa personnalité ou de son existence. Ainsi, l'individu est libéré de sa culture plus qu'il ne s'en libère véritablement.
Conclusion
On ne peut pas se libérer de sa culture. Certes, il existe des exemples exceptionnels et en cela spectaculaires d'individus qui ont pu rompre avec leur milieu social, religieux, ethnique... Mais le poids des déterminismes est tel que nous pouvons en conclure qu'il s'agit plus d'individus qui ont été libérés de leur culture au gré des circonstances et du hasard que d'individus qui s'en seraient libérés de manière autonome.
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